Non-réciprocité et hétérosexualité

Dans les relations hétérosexuelles, les femmes donnent toujours plus que les hommes... ou presque.
13 mars 2006 par nicolene

J’écris ce texte en réaction à la brochure « est-ce aimer à tout vent », et surtout à un texte, qui parle du balancier affectif. Ce texte nous présente la théorie fort courante du chat et de la souris, ’tu t’en vas, j’arrive, tu reviens, je m’en vais...’

Et bien moi, je n’y crois pas du tout. Ce que je crois, c’est que le modèle des relations hétérosexuelles est l’échange non-réciproque. Que le fondement des rapports amoureux homme femme réside dans la non-réciprocité des échanges. C’est ce que je constate : ce qui perdure dans les relations hétérosexuelles que j’ai développées ces dernières années, avec des gens qui se disent en déconstruction. Loin d’une théorie floue du balancier des ressentis, je suis partisane d’un décompte des échanges qui se déroulent au cours de ces relations. Petit inventaire :

Du point de vue du travail ménager, comme on le sait en sociologie, à temps de travail égal, les femmes font 75% du travail domestique. Et dans mes relations ? Je pense toujours deux fois plus que mes amants à faire à manger, à chauffer la pièce, à faire en sorte que le cadre soit agréable. Lorsque, miracle, je tombe sur un garçon qui pense que bien manger ensemble pourrait être une chose agréable, il s’établit comme une auréole autour de lui. Je devrais être reconnaissante qu’il en fasse autant que moi... [j’ai eu une relation longue avec un homme, qui se souciait autant sinon plus que moi des tâches domestiques. Nos amis pensaient que je le menais à la baguette, qu’il faisait « tout » avec moi. Que j’étais capricieuse. Ou qu’il était un pédé refoulé. Ou alors dans les milieux ’alterno’, cet homme, attentif à la convivialité d’un lieu, était bien moins valorisé qu’un homme ’activiste’].

Du point de vue de l’échange de biens matériel. Chez nous, comme on le sait, on est déconstruits. Donc, ce n’est pas l’homme qui rémunère sa compagne, qui lui paye des bouquets, un resto, etc... Évitant les cadeaux obligés (saint valentin, bouquet du samedi soir si tu veux baiser...), l’homme déconstruit est perdu. Je suis en général la seule à penser à de petites attentions qui font plaisir. À choper du chocolat pour bidule qui aime ça, à trouver l’article dont un tel m’a parlé, à donner de petites choses, ou des grandes, qui sont la marque dans le monde matériel de l’attention aux autres.

Du point de vue de l’échange verbal. Je lui pose des questions, je m’intéresse à ce qu’il fait, je lui demande comment il va, je réfléchis à ce qu’il m’a dit pour lui poser des questions plus pertinentes la prochaine fois, je m’intéresse à son évolution personnelle, à ce qui le passionne dans la vie. Au mieux, lui, il m’écoute. Il me relance s’il est très déconstruit. Il me dit que c’est intéressant ce que je dis, ce que je vis, deux fois l’an. Il ne réfléchit jamais aux problèmes personnels que je lui ai posés. Il ne réfléchit qu’à lui, quand il est très avancé dans sa remise en cause. Remettre en cause une construction masculine le préoccupe beaucoup, il m’en parle. Savoir ce que je vis dans mes remises en cause ne l’intéresse pas.

Du point de vue des discussions sur notre relation. Je suscite la discussion. [l’expérience reste à faire dans l’autre sens. Avis à celles qui ont déjà vécu autre chose !] Je lui dit qu’on doit parler. Il fixe un rendez-vous. Sa réaction va de « ok, oui, c’est bien, tu avais quoi à dire ? », à, s’il ressent une gêne, tourner autour de moi avec une mine contrite, ou à fuir le temps que tout ne roule pas comme sur des hétéroulettes, ou à affirmer que parler, dire nos (mes) envies, c’est se prendre la tête, ou grand classique, affirmer : « c’est trop compliqué » (pour lui, de se demander comment il m’oppresse, pas pour moi de vivre une oppression).

Du point de vue de l’échange de temps. Je suis à sa disposition. Quand il a finit ses activités, il veut bien me voir. Si je pose des contraintes, si je ne sacrifie pas mes activités, on ne se voit pas. À ce moment, pour lui, c’est la fatalité, on fait beaucoup de choses en ce moment. Il ne pense jamais à adapter son emploi du temps en fonction du mien. Genre "Ah, bon, tu faisais ça toi ??"

Du point de vue de l’échange affectif. Je l’appelle, je lui témoigne de l’affection, je vais lui faire des câlins, je le réconforte, je suis tendre. Pour lui, un geste de tendresse suffit. Une parole tendre suffit. Un regard reconnaissant. De temps en temps.

Du point de vue de l’échange sexuel, je ne l’embête pas quand il n’en a pas envie, je cède toujours à ses désirs. Je pense à son plaisir, je le fais jouir, ou du moins, éjaculer. Je lui demande comment il aime, je m’applique, je tente d’être à son écoute. Lui ne se soucie pas de si j’ai joui, ne me le demande pas, espère qu’il « saura me faire jouir », et tente de se prouver qu’il est un bon coup. Parfois, une fois qu’il a joui, quand j’ai été suffisamment à son service avant, dans un grand moment de mansuétude, il tente de me faire jouir. Quelle générosité !

La liste peut-être tellement longue... À chacune de la compléter, de la modifier, de se questionner...

Et bien, moi, un jour, j’en ai eu ma claque. Ma claque de ces relations non-réciproques, d’un soir ou d’un an, où l’immense majorité de mes partenaires considéraient que nous étions dans une relation égalitaire. Ma claque qu’ils se sentent en dette quand quelqu’un leur offre quelque chose ou fait quelque chose pour eux, sauf quand ça vient de leur copine... Mais, comme on a bien appris, en amour, on ne compte pas ! Ma claque de faire du bénévolat, j’ai dit.

Alors, un jour, je me suis mise à compter. J’ai décidé de ne pas donner plus, matériellement, en temps, en affection, en biens, en prise d’initiative relationnelle, qu’eux. Mes relations se sont terriblement appauvries. J’ai dû me réfréner terriblement. Mes partenaires m’ont dit que j’étais « un mec », que j’étais « dure ». Choqués, les grands spécialistes de la rétention de biens relationnels, habitués à tenir leurs partenaires dans un tel état d’attente et de frustration affective qu’ils se font servir, contre une attention tous les 36 du mois, mais qui sera prise comme un don de dieu. Les occupés, eux, ont vu notre relation disparaître. « C’est dommage !" qu’ils ont dit. Avec certains, nous nous sommes mis à manger des pâtes. À lire le journal dans des pièces froides. Notre temps d’internet a augmenté. Je les ai coupé dans leurs récits de ressentis par des « à part ça, ça va ? ». J’ai joui vite et les ai laissés excités.

Et contrairement à la théorie de notre ami, ces messieurs se sont indignés, ils ne m’ont pas poursuivie... Ils sont plutôt allés vers des femmes qui leur fournissent tout plein de services, sans attendre de retour, amour oblige. Tout est gratuit en amour, n’est-ce pas ?

Moi, ce que je crois, c’est que ces types nous affament pour que nous quémandions notre pitance, pour que nous les nourrissions de nos soins, et que nous leur faisions une fête lorsqu’ils daignent nous donner un petit quelque chose. Ce que je crois, c’est que nos mecs exploitent notre travail, et limitent notre développement personnel individuel. Et que bien souvent c’est la même chose chez des types ’en déconstruction’.

Ce que je crois aussi, c’est que j’ai bien fait mon complexe d’Oedipe, avec un bon père de famille qui ne me donnait ainsi qu’à ma mère que peu d’attention, de temps, de tendresse. Et que je revis avec beaucoup d’hommes très exactement cette sensation qu’il faut que je conquière l’amour de cet homme qui m’aime, au fond, je le sais (ah ah), mais ne me le montre pas. Rions en avant d’en pleurer.

Alors si au petit jeu de « je te cherche tu me fuis », hommes, femmes, trans, pédé, gouines et monstres peuvent jouer, dans les relations hétéros, ce sont toujours les hommes qui sont des chats, et les femmes les souris.

Pas d’autonomie sans réciprocité ! Pour un décompte affectif !