Je n’irai pas à la Pride

10 juin 2006 par Tchak

Demain dans ma ville, c’est le jour de la Pride. Chars bruyants, slogans sympas, pédés et lesbiennes contentEs de défiler, de se montrer, de se rencontrer. Il y a quelques années c’était un rendez-vous important pour moi, une façon de m’affirmer j’imagine, mais aussi de rejoindre le monde merveilleux lesbien, gay, bi, trans, dont j’ai tenté longtemps d’intégrer la « communauté », faute d’en épouser tout à fait l’identité.

Après quelques années de fréquentation du courant dominant LGBT dans sa composante associative, ce que j’en retiens, c’est que... malgré son apparente diversité, c’est un courant dominant. Les valeurs qui ont cours dans le courant dominant de la société sont aussi celles de l’organisation collective des pédés et des lesbiennes qui s’engagent à des titres divers pour l’égalité politique, la création d’espaces de convivialité associatifs, la visibilité des LGBT dans le champ culturel ou du travail. L’extrême gauche s’oppose à la social-démocratie, pendant qu’un certain conservatisme moderne mise tout sur le boom des entreprises gays. Les tenantEs d’un queer fashion dénigrent les gays en mocassins et les lesbiennes en jupes longues. En lorgnant sur les t-shirts made in Malaysia des boutiques trendy.

Il ne s’agit pas de dénigrer les LGBT individuellement. Mais d’affirmer que tout naturellement les espaces qu’illes créent, qu’illes s’approprient, sont fortement marqués par les valeurs du reste de la société. Et qu’aucune réflexion n’est possible, puisque coucher avec un partenaire du même sexe est la preuve qu’on est déjà hyper alternatif/ve. Pourtant l’individualisme qui a cours dans nos sociétés, le consumérisme matériel mais aussi affectif, les normes blessantes, sont les plaies aussi bien du macumba hétéro que de la boîte pédé. Et de son équivalent sérieux, l’asso LGBT, qu’elle soit étudiante ou politisée.

« Bon, les cheveux, la coupe à la mode, ça va. Maintenant tu as encore des kilos à perdre, et il faudra aller faire un tour à H&M pour te trouver un pantalon. Noir, ça mincit. » « Bon, j’ai fait tout le boulot pour le projet du mois prochain, tout le monde est d’accord ? » « Notre relation (amicale, amoureuse) ne constitue en aucun cas de ma part un engagement envers toi. Je ne dois rien à personne, je suis libre. On n’en parle pas, ça prend la tête. » Petit florilège de ce que j’ai entendu en traînant dans les assos. A ce rythme, il suffit d’être un peu fragile pour se brûler les ailes. Comme beaucoup de genTEs dans le courant dominant hétéro, qui ne sont pas des winners capables de tirer leur épingle ou qui ont des valeurs incompatibles.

Justement, mes valeurs sont incompatibles. Si je m’engage en politique/militantisme, c’est pour un rapport différent aux personnes et à l’environnement. Pour établir des responsabilités entre ces trois entités. Et j’ai trouvé des espaces où ces mêmes valeurs sont promues... et qui en deviennent des espaces de belles relations. La liberté n’est pas le prétexte à alimenter un monde de relations violentes. C’est un droit qui s’exerce dans le respect des autres. Je peux aussi bien compter sur l’engagement auprès de moi de mes amiEs écolos. Je peux fréquenter Queeruption sans qu’on me regarde en biais, pourtant je fais tout pour, avec mes fringues normées quand chacunE s’est inventé un look épatant... c’est pas ça la vraie liberté ?

Si un jour à la Pride on voyait cohabiter dans moins de regards méprisants des gouines paysannes, des pédés décroissants habillés récup, des vieux, des hétéro-queers, des punks. Si sur les chars se contorsionnaient des handis et des gros, des poilues et des maigres, dans un « fuck les normes » général... je reviendrais peut-être. En attendant, la « communauté » mérite qu’on lui fasse faux bond pour construire des espaces à part, oasis dans une société pathogène.