Le genre par réaction ?

24 mars 2007 par Camille

Mon corps s’épanouit parfois, à l’occasion d’une poitrine devenue pectoraux. Ou de pectoraux devenus poitrine. Il jubile d’un muscle trop saillant, jouit sauvagement d’une voix rauque. Il déverse sa jouissance dans des veines saillantes et gueulantes, bleu industriel sur la tempe. Alors, il vit, fort et puissant. Je trouve beau mon corps dans sa puissance, dans sa jouissance éphémère. Libre, lisse et apaisant, il me correspond.

Je me complais dans cette image de moi-même m’apparaissant comme un juste retour des choses, une réappropriation bien méritée, à défaut d’être évidente. Je m’offre à moi, sous forme de ce corps auquel j’aspire ; qui n’est plus alors un corps par défaut, préprogrammé. Comme un interstice de liberté où s’estompe le décalage structurel entre l’image que j’aimerais renvoyer et celle qui apparaît inévitablement. Là, tout coïncide parfaitement dans une espèce de bulle loin de la pub en 4x3, loin des regards inconnus, de leur féminité exigeante et exigée. Loin de la culpabilité ravageuse...

D’ailleurs, je sais que tout cela ne durera pas, que les ombres portées orange de la nuit urbaine sur les murs familiers vont laisser place au grand jour. Et c’est toujours là que tout se complique, qu’émergent mensonges, tremblements, toilettes publiques et laideur. Là que mon corps rationalisé par leur grille de lecture devient monstrueux. Là qu’il se voûte en un objet débile et moche, charriant symboles et préjugés mamdroits. Corps biométrique _anthropométrique ?_ à l’allure d’un objet, d’un truc. Chose qui (m’) encombre systématiquement car trop lourd de responsabilités, il est codé puis décodé systématiquement par des regards moralisateurs. La transparence est obligatoire. Comment se fait-il que sous les feux de leurs yeux, mon corps m’apparaisse si moche, monstrueux, raté, écoeurant ? Mon allure caricaturale, dégénérée, abjecte me va comme un gant, on dirait. Ma virilité a des seins, ma sensibilité est arrogante, ma féminité rauque.

Pourquoi ce décalage ? Ce gouffre entre l’image pensée et celle qui apparaît ? Pourquoi est-ce que je n’apparais pas comme je me conçois ? Ce serait si simple et harmonieux. Mais là, il me faut jouer avec l’interdit, le moche et le vulgaire pour me sentir vivre. Comme l’impression que pour venir à bout d’une image sociale trop parfaite pour être épanouissante il me faille passer par la laideur sociale.

Etre laide pour ne pas être cette femme passive, un peu naïve, ingénue pour ne pas dire stupide, que la pub m’a fait apprendre par coeur. Etre moins bien qu’une femme, être plus moche pour ne pas être confondue avec la femme-de-la-pub. Si la femme-de-la-pub est charmante, souriante et dévouée je serai écoeurante, agressive et égoïste. Mais tout cela n’est qu’un idéal, j’ai trop bien été éduquée, je ne serai véritablement écoeurante, agressive et égoïste que dans ma chambre, à l’intérieur, entre moi.

Je suis gênée d’être une femme, j’ai honte de ne pas l’être bien. Gênée parfois d’être une femme parce que tout le monde sait bien que c’est évidemment moins bien qu’un homme (moins fort, moins intelligent, moins battant, moins courageux, moins bien). Honte d’être mal une femme parce que je ne suis pas un homme. Honte de moi dans leurs yeux. Pourtant fière dans les miens.

Je suis écartelée par ce gouffre entre mon regard et le leur. Aucun rapport, « no bridge ». Pas de repère commun puisque la femme-de-la-pub n’est plus le mien. Je serai autre, n’importe quoi mais pas elle : je sanctifie la crasse, la mauvaise foi, la violence tant qu’elles m’en éloignent. Finalement, comment être sûre de ce que j’aime ? Et si tout n’était chez moi que réaction effrénée à une image ? Mes goûts et aspirations ne sont-ils que le négatif de cette femme-de-la-pub ? Suis-je alors la première victime de l’industrie de l’image ? Possible. Je crois m’en écarter fièrement et y attache finalement une importance démesurée ? Je flippe. Tant pis, je continue, je m’empêtre dans ma gueule de caricature, plus profondément. Je crois que je me préfère répugnante qu’incarnation maladroite d’un idéal féminin dégradant.