# 1 Déconstruire la domination dans un couple hétérosexuel ?

Extraits de lettres
28 juin 2007 par hester

Voici des extraits d’une première lettre.

" Tentative d’explication Ou la nécessaire schizophrénie de la réflexion féministe dans le cadre d’une relation amoureuse avec un garçon

Tu es mon copain. Quelqu’un avec qui j’essaye de créer une relation. Quelqu’un que j’estime et avec qui j’ai envie d’avancer. Quelqu’un en qui j’ai confiance. Sur qui je me repose, me pose. Quelqu’un avec qui je réfléchis. Je construis. Je vis. Parfois par procuration, c’est sûr, mais malgré la distance la dynamique est là. Profondément là.

Je conçois une relation de couple - hé oui, car je commence à concevoir le couple - comme une implication commune, une double volonté et la prise en compte de deux individu-e-s dans le fonctionnement d’une entité nouvelle. Entité qui ne fusionne pas pour autant les individu-e-s en elle : moi, toi, nous, et tout ce que cela implique autour, sont des éléments autonomes et inter reliés.

Quand je réfléchis au « nous », je réfléchis nécessairement à toi, et à moi. Partant d’une vision partagée de la relation, je réfléchis au « moi » dans le « nous » en te faisant directement intervenir : je conditionne mon intervention et mes envies à ce que j’interprète de tes interventions et de tes envies. Autrement dis, j’envisage peu le « moi » dans le « nous » de façon autonome : ce que le « moi » retire du « nous » en faisant abstraction du « toi ».

C’est ce redimensionnement que me pousse à faire aujourd’hui mon cheminement féministe. Non pas ignorer les autres dimensions, mais s’attacher pour une fois au « moi » dans le « nous », sans se mettre à la place du « toi » : refaire du « moi » une entité autonome distincte des intérêts et des problèmes du « toi » dans le « nous ». Ne faire intervenir l’empathie que dans un second temps, pour si nécessaire expliquer des situations qui auront été préalablement identifiées.

Je réalise effectivement que cette absence de « moi » comme réflexion autonome et première constitue un des piliers de la non remise en cause du patriarcat et des discriminations. Les femmes sont là pour comprendre, justifier, et légitimer toute intervention du « toi ». Cette aptitude à l’empathie, même si elle est certainement très appréciable dans la vie en société, est terriblement perverse.

Ce que cette année m’aura amené à comprendre, c’est l’ampleur de l’oppression des femmes par les hommes. Les moindres recoins où sont présentes discriminations et agressions. La place que j’ai toujours niée dans ma propre vie à la reproduction de ses schémas qui sont profondément ancrés en nous. La prise de conscience de ce que subit à tout moment le « moi » et son appartenance à une classe dominée, un autre « nous » ; et l’identification parallèle du « toi » comme membre de l’autre classe, un « eux » dominant et antagonique.

D’où la difficulté qui en découle à apprécier le « nous » et le « toi ». Le dédoublement de rôle : le « toi » est solidairement et alternativement l’autre acteur du « nous » avec qui je veux avancer et construire, à qui je veux prêter une attention égale au « moi » dans le « nous » ; et l’oppresseur, de part son appartenance à un « eux » de qui je dois nécessairement me distancier pour protéger mon « moi » et me le réapproprier. En des termes crus et qui choquent plus d’un garçon, je couche avec mon patron. Mon amoureux est celui avec qui je dois construire et contre qui je dois me battre.

Facile à dire, après ça, que lorsque je pense au « moi » je ne laisse pas au « toi » une marge de manoeuvre suffisante. C’est moi qui ai la responsabilité d’assumer la double face : à moi de trouver comment démanteler le « eux » dans le « toi » sans agresser le « toi » dans le « nous ». À moi de trouver la distance suffisante pour ne plus être dominée par le « toi », tout en aidant l’autre « toi » à comprendre sa nature ambivalente et à la déconstruire.

L’appréhension du « nous » n’est nécessairement plus la même lorsque l’on intègre une réflexion féministe. L’idée de respect des blocages et des peurs de l’autre est transformée. Si l’on réfléchit à partir d’un « nous » égalitaire, on suppose un responsabilité commune quant au fonctionnement et au dialogue. Dans ce cadre, c’est moi qui ai une altitude agressante lorsque j’impose mes envies et mes besoins d’évolutions en te brusquant.

Mais si l’on part avec comme cadre d’analyse un « nous » déséquilibré et un « toi » inscrit dans le « eux », avec toujours l’envie d’un « nous » égalitaire, cette situation nécessite un traitement différencié du « toi » et du « moi ». Cette situation impose au « toi » agresseur une responsabilité première pour se déconstruire. Elle permet de comprendre que l’agression n’est pas dans l’expression mal adaptée du « moi » de la violence qu’elle subit, mais bien dans cette violence véhiculée même malgré lui par le « toi », et subsidiairement dans la culpabilisation du « moi » pour le caractère agressant de sa dénonciation.

La question centrale n’est plus l’agression réalisée par la demande d’évolution mais bien l’existence d’un problème dans le fait que le « moi » ait la responsabilité entière de créer un environnement respectueux pour le « toi » pour lui exprimer en quoi il est agressant, et ce au-delà de l’existence de cette agression première.

Ma confiance dans le « nous » est à partir de ce moment-là étroitement liée à l’altitude proactive du « toi » dans la déconstruction de son appartenance au « eux » : autrement dit, à la responsabilisation du « toi » quant à la reconnaissance du déséquilibre fondamental présent dans le « nous » ; et à la possibilité de travail commun pour la réinvention d’un nouveau « nous », qui ne reproduise d’agressions ni pour le « toi » ni pour le « moi ». Réussir à surmonter ce déséquilibre sans le faire peser sur le « moi », et sans non plus imposer d’agressions au « toi » dans cette évolution ni instaurer de nouveaux déséquilibres : c’est tout le défi. "