Justifier la violence

19 novembre 2008 par signorina a

"Dos miradas" de Sergio Candel ou comment justifier la violence.

Il y a plein de films qui me font enrager. En général parce qu’ils expriment une idéologie dominante machiste, hétéronormée, raciste, etc. Le film Dos miradas (que j’ai vu lors d’un festival GLBT) m’a dégouté, non pas parce qu’il y a avait une vision machiste d’une relation lesbienne (le réalisateur est un homme) ou parce qu’il était ennuyant. Les images étaient magnifiques, les actrices jouaient super bien, la mise en scène rendait très bien la tension entre les personnages, etc etc. Ce qui m’a donné la nausée, c’est l’intention du réalisateur et, encore plus, la réaction du public.

Si vous n’avez pas vu ce film, voici l’histoire. Deux amies sont en vacances dans une maison dans le désert. Quand la blonde (désolée, je ne me rappelle plus si leurs noms étaient dits) se rend compte au réveil qu’elles ont fait du sexe la nuit passée, elle est bouleversée, peut-être parce qu’elle n’avait jamais fait ça avec une femme et que ce n’était pas dans ses intentions. Ou, très probablement, elle n’avait pas envie de le faire avec cette femme car lorsqu’elle se réveille, elle enlève le bras de l’autre qui la tient sur le coté, dehors elle voit que la veille elles ont bu 3 bouteilles de vin et des bières et elle va immédiatement prendre une douche en pleurant et se frotte super fort la peau avec une éponge. Je commence déjà à me sentir mal, ça me rappelle de nombreuses scènes où une fille va se laver de manière frénétique après avoir été violée...

Pendant le petit déjeuner, l’atmosphère est glaciale. La blonde est en colère, la brune la provoque, se moque d’elle. Elles ne se disent presque rien, à part la blonde pour dire à l’autre que la cigarette que la brune est en train de fumer la dérange. La brune continue, arrogante : « T’as appelé ton fiancé ? Qu’est-ce qu’il a dit ? » La blonde : « On s’est dit des trucs personnnels, ça te regarde pas. » Remarque cynique de la brune : « Je voulais juste savoir comment il allait. » Et demander à la blonde si elle va bien ? La brune n’a pas l’air inquiète, au contraire, elle semble s’amuser : du fait que la blonde ne veuille pas parler, qu’elle semble perturbée de la nuit passée. La brune prend une cuillère et commence à faire des bruits super agaçants : elle tape sur la table, fait trainer la cuillière contre sa chaise. La blonde, avec une patiente surhumaine (elle répond quand même à quelques-unes des remarques et jète la cigarette de la brune dans son thé), finit son petit déjeuner en colère, mais déterminée à ne pas se laisser emporter par la rage.

Après d’ultérieures provocations de la brune, la blonde n’arrive plus à garder son calme et court dans sa chambre pour pleurer. La brune vient la voir et essaie de la consoler, l’embrasse. La blonde reçoit le baiser mais sans trop de conviction. Ca vous dit rien ? Je te traite mal et après je viens te consoler parce que je t’aime tellement...

La blonde ne supporte pas cette situation et décide de s’en aller. Pendant qu’elle prépare sa valise, la brune va cacher les clés de la voiture. Evidemment, la blonde devient nerveuse de ne pas trouver les clés (la brune, d’un air amusé : « Si tu veux, on les cherche ensemble ») et donc de ne pas pouvoir aller au village le plus proche en voiture. Elle décide d’y aller à pied et donc de faire des kilomètres de route au beau milieu du désert, sous un soleil de feu, sans eau, en trainant sa valise à roulettes. La brune se fend la poire, elle ne met pas fin à la « blague » des clés, elle la suit le long des premiers mètres de marche en faisant des remarques du genre « Tu crois que tu vas où comme ça ? Moi, je vais faire un petit tour dans la piscine », en continuant de s’en foutre de comment va la blonde.

La bonde est déterminée, elle continue à marcher. Evidemment, elle finit par avoir super chaud et elle fait une pause sous le seul arbre des alentours. Elle écrit sur son journal intime. La brune arrive en voiture (entre temps, dans la maison, elle s’est masturbée en pleurant. Pourquoi n’y a-t-il jamais de films avec une scène où une femme/lesbienne se masturbe avec plaisir et joie ???) et lui parle sur le m¬ême ton arrogant : « Mais tu crois que tu vas où comme ça ? Ne sois pas stupide, monte dans la voiture. » La blonde ne fait et ne dit rien qui porte à penser qu’elle veuille intéragir avec la brune, continuer ces vacances ou donner suite au rapport sexuel de la nuit passée. Elle continue à marcher droit, mais la brune lui bloque la route et descend de la voiture. La blonde continue à marcher, la brune la suit et essaie de lui arracher la valise des mains, la blonde résiste, la brune réussit à la lui arracher et va vers la voiture, la blonde lui court après et essaie de récupérer la valise.

Puis, comme si de rien n’était, elles vont ensemble en voiture à un lac et elle se baignent en riant (!). Je commence à ne pas bien comprendre ce qui se passe. Peut-être que la blonde veut affronter la situation d’une autre façon, peut-être que le soleil sur la tête et l’insistance de la brune lui a enlevé toute la force et la détermination qu’elle avait avant. La brune essaie encore une fois d’embrasser la blonde qui se détache et sort du lac. La brune est vexée (il ne lui vient pas du tout à l’esprit qu’elle est envahissante, elle n’a pas l’air d’avoir envie de comprendre comment la blonde vit tout ça, elle essaie juste de l’embrasser et de la faire retourner dans la maison) et va dans la voiture.

La blonde met un peu de temps avant de retourner à la voiture. Pendant ce temps, la brune trouve le journal intime de la blonde et le lit. On comprend qu’il y a écrit des choses peu positives sur con compte parce qu’elle s’énerve et agresse la blonde quand elle arrive. La blonde, évidemment, lui demande comment elle a pu oser lire son journal, elles s’insultent et commencent à se battre avec les mains, des coups de pied, à se jeter par terre, dans le sable. La lutte dure super longtemps parce que le film finit alors que le soleil se couche et qu’il fait presque nuit. Puis, elles se calment, la brune essaie encore d’embrasser la blonde. Cette dernière retire violemment son visage de cette tentative de baiser en poussant un cri d’exaspération qui veut dire « maintenant, ça suffit ! »

Avant le tout dernier moment du film, je me dis : « Bon sang, ce film est super bien fait : il te faire vivre la tension de la situation, décrit à la perfection la violence que la blonde ressent sur elle ». Et à ce moment, je m’attends à ce que la blonde réussisse à mettre fin à tout ça en jetant la brune par terre et en s’échappant avec la voiture, ou bien que la brune réssaie de la faire céder, de la « conquérir » et elle essaiera si fort qu’elle blessera ou tuera la blonde.

Rien de tout ça. Elles restent assises sur le sable, épuisées. La blonde embrasse la brune sur les cheveux et la console en lui tenant le bras pendant que la la brune pleure. Fin du film...

J’étais super en colère de voir l’énième film qui fait passer la violence pour l’une des variantes possibles et acceptables des relations amoureuses. Le fameux amour-haine (concept biteux si vous me permettez l’expression). Pour moi, ça a trop le gout de « Il/elle me frappe, mais il/elle m’aime, il/elle a peur de me perdre, il/elle est tellement fragile au fond, il/elle n’y peut rien, moi je le/la pardonne parce que je l’aime ». Ou bien « Ben, c’est normal que dans un couple on se dispute ». Oui, comme le couple qui vivait dans l’appart au-dessous du mien : lui dit qu’elle est une salope et la menace. Elle lui dit de s’en aller ou bien c’est elle qui s’en va, qu’elle ne veut plus le voir, elle lui hurle de ne plus essayer de la toucher ou elle appelle les flics. Une voisine : « Ils sont encore en train de se disputer ». Et comme ça on est confortablement myopes, on refuse de voir la violence quand elle est évidente. Ca me rappelle aussi des récits de femmes battues par leur compagnon : « Moi aussi je le tape », même quand le mec est 3 fois plus grand et musclé qu’elle.

J’ai détesté ce film parce que le réalisateur a mis sur un même niveau les deux personnages, comme si leur rapport était égalitaire, comme si l’une des deux n’utilisaient pas la violence sur l’autre, comme si elles se faisaient des « petites misères » l’une l’autre.

Je cite les types de violence faites aux femmes listés par les statistiques officielles que j’ai retrouvés dans ce film : poussée, saisie, claquée, prise à coups de pied, de poing, rapports sexuels non désirés, dévalorisation, intimidations, isolement, poursuite, harcèlement. N’oublions pas que presque toutes les violences sur les femmes sont faites par les hommes, mais n’oublions pas non plus que la violence (d’un homme sur une femme/lesbienne, d’un-e parent-e sur une fille ou un fils, d’un-e flic sur un-e manifestant-e, d’un-e manager sur un-e secrétaire, etc.) est utilisée par la personne violente parce qu’il y a un rapport de pouvoir qui le lui permet.

J’ai détesté la plupart du public qui a rit pendant la scène où la brune poursuit la blonde et lui arrache la valise de la main et pendant qu’elles se battaient dans le sable. Après la projection, quelqu’une a demandé au réalisateur si l’audio était en prise directe ( !).

J’ai détesté le réalisateur qui, à la question « Comment vous est venue l’idée du film ? », n’a pas répondu « Je voulais parler de violence entre femmes » (je savais que c’était un espoir vain), mais « Avant tout, j’ai pensé au désert, à l’immensité et la solitude que cela évoque ». Involontairement, il a réussit à dire une chose sensée dans sa réponse : dans les situations de violence, les femmes sont en général seules. Et immenses sont l’incapacité de reconnaitre les situations de violence et la capacité du mythe de l’amour de tout justifier.

Ce film a perdu l’occasion de parler d’un question qu’on n’affronte pas assez souvent, ou de manière erronée et sexiste (« Les femmes sont horribles entre elles ») : la violence entre femmes, en particulier à l’intérieur d’un couple lesbien.

Je déteste le mythe de l’amour.