Fuck le genre !

15 janvier 2003 par Aude

Le genre, une construction sociale
Le sexe biologique est une chose ; le genre, ou construction sociale d’une identité sexuelle à partir de ce sexe biologique, en est une autre. Les identités sexuelles strictes et contrôlées socialement ne peuvent plus longtemps avoir cours. Michel Foucault nous raconte l’histoire d’Herculine Barbin, androgyne charentaise du XIXème siècle, sommé-e de choisir entre deux identités, l’une strictement masculine, l’autre strictement féminine. On connaît aussi, tout au long de l’Histoire, des cas de travestissement, d’homme en femme ou le contraire.
Ce que maintenant on appelle le « queer » [1] n’est donc pas l’attribut d’une modernité devenue folle. C’est simplement pousser plus loin le rejet de la question de genre. Garçons aux cheveux longs, filles en pantalon dans les années 1960 et 1970, et puis drag queens, gouines butch ou trans (travesti-e-s ou transsexuel-le-s qui poussent au bout leur transformation physique), sont les manifestations les plus shocking d’une société qui ne veut plus plier son apparence, ni son comportement, à une norme prédéfinie.

Sur la jupe
Pierre Bourdieu a montré dans La Domination masculine comment la jupe pouvait façonner le corps d’une femme. La jupe droite des assistantes et des cadres enserre le corps. Elle règle une enjambée étroite (les fameux petits pas exécutés en talons hauts) et interdit de s’asseoir n’importe comment : pas de jambes négligemment écartées, et il faut lisser la jupe sur ses fesses pour éviter les faux plis. La jupe aussi montre les jambes, qui doivent dans ce cas être impeccables : forme acceptable, dont le galbe est amélioré par les talons hauts, pas un poil qui dépasse. A un corps féminin déjà peu poilu (ça, c’est la nature), on demande de ne plus être poilu du tout (exigence sociale). Et la jupe sert à contrôler cette norme capillaire.
La jupe se porte même quand il fait froid, au contraire du pantalon des hommes qui se porte même en période de canicule. Le vêtement, qu’il soit masculin ou féminin, ignore les saisons. Il ne se porte pas pour avoir chaud, mais pour être le signe d’une appartenance à une société ou à une classe sociale, encore plus à l’un des deux genres socialement définis.

Contre le coït
Cette construction sociale des genres est associée à une répartition des tâches, domestiques, professionnelles, et sexuelles. Le combat féministe a bien montré comment cette répartition constituait de fait une inégalité, en termes de temps, d’argent, de liberté, de statut social. Attachons-nous un moment à la construction de normes dans le domaine de la sexualité. L’acte hétérosexuel se met en place autour du coït, le plus souvent vaginal : caresses, cunnilingus, fellation (dans l’ordre !) ne sont que des préliminaires à l’acte sexuel proprement dit : le coït, qui s’achève par un orgasme. Les féministes ont longtemps lutté pour la liberté de pratiquer ce coït comme elles l’entendaient, grâce à la contraception et à la liberté d’avorter.
Mais ce coït, qui met en scène un-e passif-ve et un actif, un dominant et un-e dominé-e, s’intègre trop bien dans l’ordre normal des choses pour que nous l’acceptions sans le remettre en question. D’autres pratiques sexuelles (sexe oral, masturbation réciproque, SM) permettent d’éprouver du plaisir. Pourquoi dans ce cas le coït serait-il indispensable à la sexualité aussi bien homo qu’hétéro ? Et si le coït devient un acte sexuel parmi d’autres, place qu’il mérite, pourquoi ne cesserions-nous pas de dire « sauter » et « se faire sauter », « pénétrer » et « se faire pénétrer », « enculer » et « se faire enculer » ? On pourrait dire à la place « se faire englober le pénis avec l’anus », ou « emprisonner un godemiché avec son vagin ».

Tou-te-s des enculé-e-s Dans son Manifeste contra-sexuel, Beatriz Preciado nous rappelle que nous sommes tous égaux devant notre trou du cul. Hommes et femmes biologiques, homos, hétéros ou bis, nous avons tous un anus également érogène. On peut préférer la pénétration ou l’annulingus à l’excitation manuelle de surface, mais on ne peut nier le plaisir que peut nous apporter cette zone.
La sodomie est associée à un rapport de domination. Les pédérastes enculaient les érastes dans la Grèce antique (au contraire, la pénétration de l’anus d’un homme mûr était une perversion). De nos jours encore, un honnête homme n’ose pas demander cela à une honnête femme, mais l’exige de la part d’une pute ou d’une fille « qui aime la queue » (parfois pour mieux établir une différence entre les femmes qu’on respecte et celles qu’on saute, les salopes). Et pas question de pénétrer l’anus d’un homme hétéro !
Dans ce contexte la pénétration est une acte politique. Pénétrer sans accepter d’être soi-même pénétré, c’est accepter jusque dans son lit un ordre patriarcal hétérocentré. Pour être réellement subversif et libéré, monsieur, inutile de consommer à tout-va du sexe en pratiquant un multi-partenariat de bon ton. Un joli godemiché dans le cul vous ferait plus de bien.

Post-scriptum

A lire...
Michel Foucault, présentation du récit de vie d’H. Barbin : Herculine Barbin, dite Alexina B., Gallimard, 1978
Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Le Seuil, 1997
Marie-Hélène Bourcier, Queer Zones, Balland, 2001
Beatriz Preciado, Manifeste contra-sexuel, Balland, 2000

Notes

[1] Queer : mouvement d’origine Nord-Américaine qui se construit contre l’apparition d’une norme homosexuelle blanche et bourgeoise. Être queer, c’est être un sale pédé, une sale gouine, qui utilise sa sexualité de manière subversive.