Un texte en deux temps, 2002 et 2006.
Le sexe n’est ni sale, ni sacré, pourquoi sa représentation serait-elle interdite ? Pourquoi les artistes ne pourraient-ils et elles pas mettre le sexe au centre de leur œuvre ?
Ayant dit cela, je dois avouer que la pornographie de consommation courante me met souvent hors de moi : sa production, ses représentations, sont de constants actes de domination sur les femmes. Jeunes femmes sous-payées ou payées à l’acte sexuel quand elles ont passé toute la journée à tourner des scènes de transition, les actrices du porno, comme beaucoup de travailleuses du sexe, ont la vie dure. La sociologie nous apprend que les travailleurs masculins n’ont pas une vie aussi difficile.
Analysons une image porno hétéro classique : elle représente un homme et une femme en train de baiser. L’image est centrée sur la femme. Normal, ce sont les mecs qui produisent, et qui consomment. L’homme dans l’image est un sujet, presque effacé (de dos en amorce), à l’exception de sa queue grandiose qu’on voit comme on peut voir sa propre queue (plus petite) en baissant la tête. Pure identification du spectateur. La femme au contraire est le terrain de l’acte, au centre de l’image, montrée sous toutes ses coutures. Un objet, dans tous les sens du terme.
Et ne disons rien de la violence physique exercée sur les femmes dans le porno, quand parmi d’autres exemples les scènes de sodomie s’attachent surtout à montrer le visage en souffrance de la nana, elle en bave, la salope, hein que ça fait mal ! Le porno exacerbe des rapports de domination dans le sexe, rapports dont nous souhaitons justement nous débarrasser.
Alors, condamner la pornographie parce qu’elle est produite par des mecs pour des mecs sans respect pour les femmes ? Bof.
Et si plutôt on se réappropriait la pornographie ?
Ne pas accepter de mater avec son jules un porno qui ne montre pas hommes et femmes sur un pied d’égalité, dans le même respect. Et puis nous aussi on aimerait voir deux beaux mecs se caresser.
Produire des pornos de filles, des films ludiques ou hard, qui nous ressemblent et qui reprennent nos valeurs et nos sensibilités. La domination de l’un des partenaires sur l’autre ne sera pas un épisode de la guerre des sexes, mais un jeu sexuel où la femme ne se retrouvera pas toujours (quel hasard) dans une position de soumission bienheureuse. Les filles à l’écran n’auront plus la peau rose-orange, pas un poil et des seins énormes. Elles se ressembleront moins les unes aux autres, et nous ressemblerons plus. Elles hurleront moins quand on les pénètre, puisque dans la réalité un cunnilingus nous fait plus d’effet... Et elles seront bien considérées, comme les autres actrices.
Les lesbiennes tournent leurs pornos, elles créent leurs représentations. Que les filles hétéro suivent le mouvement et ne se laissent pas marcher dessus par leurs mecs !
Et maintenant le post-scriptum, août 2006
Il y a de cela quatre ans j’écrivais un texte assez optimiste : oui, la pornographie pouvait être différente, non sexiste, autonome, etc. Ce texte a été publié sur quelques sites web, ceux auxquels je participe, mais aussi d’autres sites militants qui m’ont ou non prévenue. Sur l’un de ces sites, un forum permettait aux visiteureuses de faire part de leur réaction. Il en est une qui m’a beaucoup choquée. Un garçon me répondait (je ne cite qu’imparfaitement) : « allez les filles, soyez autonomes, on en profitera, à force on se lasse de se faire chauffer par du porno banal, pourquoi pas un porno du commerce équitable ? » En lisant ça j’ai beaucoup gambergé, et finalement j’ai retiré mon texte des sites sur lesquels j’avais un contrôle, avec l’idée un jour d’y apporter un post-scriptum qui repense tout cela (et d’en exiger la publication sur les sites qui m’avaient éditée).
Pendant ce deuxième stade de ma réflexion j’ai fait des rencontres. J’ai revu une intello queer dont la lecture m’avait pas mal influencée : quand je lui ai cité cette réaction du forum et les problèmes que cela me posait, elle n’a pas pu/pas voulu me répondre et m’a ressorti le discours qui m’avait déjà convaincue... et qui du coup ne le faisait plus. Il aurait été possible de dire que cette réaction que j’avais essuyée était celle d’un garçon habitué à ce porno qui justement nie l’autonomie des femmes, et que peu à peu la fréquentation d’autres images allait changer sa perception des rôles de genre, au point qu’un jour il cesserait de penser que toutes les initiatives féminines devaient se faire à son profit. On peut penser cela, mais il est difficile d’assumer sans une certaine rage au cœur les dizaines d’années de reformatage nécessaires en continuant à fabriquer des pornos féministes pour la bonne cause !
La fréquentation dans un groupe de conscience d’une grande féministe amoureuse des mots m’a finalement plus apporté. La « pornographie » n’est pas la représentation de la sexualité, mais la représentation de la prostitution. Une nuance... qui m’a permis de comprendre pourquoi il ne pouvait pas y avoir de porno acceptable. L’échange d’argent à l’origine de la prostitution, est, qu’on le veuille ou non, l’expression d’une domination (en avoir ou pas). La servitude des personnes prostituées peut être assimilée par certain-e-s à celle des ouvrièr-e-s qui exercent un travail pénible ou humiliant, l’usage du vagin n’étant pas plus signifiant que l’usage des mains. Mais servitude volontaire n’est pas autonomie, et la soumission des personnes prostituées peut être plus ou moins violente pour les personnes qui la subissent, elle n’en reste pas moins le résultat d’une domination. Je ne souhaite pas ici prendre parti, me présenter comme une abolitionniste ou une réglementariste, la question est bien trop complexe et brûlante. Je voudrais m’en tenir à ce que je pense être le minimum sur lequel ces deux positions, lorsqu’elles sont honnêtes, peuvent s’accorder.
On ne peut décemment pas acheter une paire de pompes de sport sans verser une petite larme sur le sort des adolescent-e-s qui les ont fabriquées dans une sweat-shop indonésienne. Ou fréquenter sans aucun scrupule un supermarché où la caissière est dans l’obligation de dire bonjour/au revoir avec le sourire trente fois par heure. Pourquoi dans ce cas serait-il anodin de consommer le travail d’une femme qui accepte de se mettre à nu, de simuler le désir ou le plaisir, de se faire pénétrer pour la seule raison qu’elle sera payée à la fin du tournage, toutes choses qu’elle ne ferait pas si la nécessité ne l’y poussait ? Peut-on profiter de la perte d’autonomie de quelqu’un sans interroger son acte de consommation ?
Cela remettrait en cause l’exploitation d’êtres humains par d’autres pour le bénéfice d’un système global de production/consommation... Ça tombe bien, je ne milite pas pour autre chose.
Tout cela ne remet pas forcément en cause ma certitude que la sexualité n’est pas irreprésentable. Dans ce cas, il ne s’agit pas de penser quelle partie du corps il serait décent de montrer, la présence de poils, l’effectivité d’une pénétration. Mais de penser qui se montre, à qui et avec quelles motivations personnelles : autonomes ou hétéronomes. Il reste toujours la possibilité de représenter la sexualité, à travers des personnes bénévoles qui exercent ainsi leur liberté. On pourrait alors appeler cela la « sexographie »...