Je me fais plaisir, oui ; tout seul, même, généralement.
Mon pauvre, diras-tu peut-être.
M’enfin, pourquoi "mon pauvre" ?
Note préliminaire : dans la suite de ce texte, lorsque je parle de "plaisir", il s’agit de plaisir sexuel au sens large du terme : l’orgasme n’en est qu’une forme parmi d’autres.
Mon plaisir revêt une dimension toute particulière dès lors que je le maîtrise "entièrement" : le fait qu’il ne pas dépende des envies d’autrui est pour moi un confort certain. Je choisis, égoïstement, le moment, le lieu, et le contenu des situations qui créeront mon plaisir. Hmmm. Qu’est-ce que ça étend le champ des possibles, oulala, irais-je jusqu’à dire si j’étais allé à l’école pour apprendre des grands mots.
Et, rien que ça, c’est si bon.
Et pourtant... s’il est une idée reçue particulièrement intégrée dans ce monde, y compris dans les milieux combattant homophobie et patriarcat, c’est bien celle qui veut que le plaisir ne puisse naître, sous sa forme "idéale", complète, que dans la conjonction des désirs de deux personnes au moins. De ce lieu commun, et de tout ce qui en émane, je souffre régulièrement ; les petites phrases qui font mal sont légion. Cette discrimination n’est pas l’objet de ce texte, mais il me fallait souligner son existence.
Ah oui, comment je fais. Argh. Je mets au placard, pour l’occasion, ma moue timide, l’heure est à l’exhibitionnisme. Plouf.
Autour de l’âge de 14 ans, j’ai découvert certaines formes de plaisir non réductibles à la masturbation devant des images pornographiques ; c’est le sport qui a été la source de mon éveil corporel. Ben voui, vois par toi-même :
le cyclisme, d’abord, m’a fait aimer la souffrance ; plus
globalement, il m’a fait prendre conscience de la violence
excitante que je pouvais ressentir dans certaines circonstances ;
mieux, j’étais capable de créer ces circonstances SEUL ; un
gouffre insondable se révéla sous mes pieds, c’était bon ;
l’aïkido, ensuite, m’a fait découvrir mon corps, son potentiel, et
m’a donné une large palette d’outils pour m’y sentir mieux :
l’auto-massage des mains, des pieds, et de diverses parties du
corps a priori dépourvues de symbolique érotique a joué - et joue
toujours - un grand rôle dans ma (re)découverte du plaisir
solitaire ; de même que certaines positions de relaxation, il
présente l’incomparable avantage de pouvoir être pratiqué en
public, hi hi ; ainsi mon corps tout entier et sa position dans
l’espace constituent-ils un terrain de jeu fort agréable.
Dans un second temps, et ce bien des années plus tard, lectures et discussions sur les questions de genres et de sexualités ont achevé de me pervertir ; non seulement j’ai entamé un long cycle de réflexions et de déconstructions, ion ion, blabla, mais, aussi et surtout, je me suis mis mon premier doigt dans le cul. Et depuis, j’arrête plus.
Ces différentes prises de conscience m’ont donné accès à une large palette d’outils me permettant de déclencher seul mon plaisir. Grâce leur en soit rendue.
Aussi, c’est une solution de facilité ; et moi, j’aime bien les solutions de facilité, car je suis lâche et fainéant. Par exemple,
prendre du plaisir seul rend, fort logiquement, mes pratiques
sexuelles parfaitement égalitaires, du moins en dehors de mes
moments schizophrènes ;
prendre du plaisir seul me rend moins dépendant des autres
individuEs ; c’est chouette, l’autonomie, surtout quand on sait ce
que la dépendance implique, dans ce domaine, en terme de
possessivité, de mensonge à soi-même et à autrui, de rapports
oppressants ;
prendre du plaisir seul me rend moins prisonnier de la drague et
autres bricolages de séduction ; ça m’arrange bien, d’ailleurs,
chuis pas très doué en la matière ;
prendre du plaisir seul me permet d’avoir des pratiques SM (?), ou du moins des pratiques dans lesquelles la douleur physique joue un rôle, sans recourir à la bipolarité dominantE/dominéE.
En un mot, sans pour autant être la solution à tout, prendre du plaisir seul, c’est pratique.
À la lecture du tableau reluisant que je viens de brosser, tu pourrais croire que je compte ériger la seule pratique du plaisir solitaire en dogme, ou tout au moins en faire une règle indépassable dans ma vie. Sache qu’il n’en est rien, car :
je ne vois vraiment pas pourquoi je devrais (m’)interdire d’autres
pratiques créatrices de plaisir, tout en étant conscient que, à
plusieurs, réapparaissent les problèmes politiques que j’esquive
dans la solitude ;
mon imaginaire du désir est peuplé, entre autres, de sexualité non
solitaire ; ce serait donc mentir, à moi même et à toi qui lit ce
texte, que de prétendre avoir atteint un idéal dans mes pratiques
créatrices de plaisir et ne pas connaître la frustration.