Ou comment un droit que les femmes en Pologne croyaient acquis pour toujours a été perdu malgré les luttes.
L’avortement était légal en Pologne entre 1955 et 1993 et était gratuit dans les hôpitaux publics et payant dans les cliniques privées.
En avril 1989, au moment de la fin du régime communiste, un petit parti chrétien-démocrate allié jusqu’à présent au régime, a sorti un projet de loi « pour la protection de l’enfant conçu » interdisant l’avortement sous peine de prison pour le médecin pratiquant. Ce projet de loi semblait tellement aberrant aux yeux de la société polonaise, en pleine ébullition sociale et et aspirant à une véritable liberté et un système démocratique, que certains pensèrent à une provocation du régime destinée à diviser l’opposition avant les premières élections libres le 4 juin 1989.
La résistance s’organisa rapidement autour d’un mouvement contre le projet de loi réunissant diverses tendances, certains militants étant issus des mouvements anticommunistes, d’autres d’associations ayant été soutenues par l’Etat, comme par exemple la Ligue des Femmes Polonaises. Grâce aux manifestations et à une pétition, le projet ne fut pas examiné au Parlement. Dans les années 1989-1992, alors que se mettait en place un système politique parlementaire, les partis d’extrême droite fondamentaliste catholique ressortirent ce projet et tentèrent de le faire voter. Les associations luttant contre la criminalisation de l’avortement unirent leur force dans la Fédération pour la Promotion des Femmes et pour le Planning Familial en 1991 et organisèrent des manifestations avec le soutien notamment du Planning Familial Français.
Malheureusement, la dégradation des conditions économiques due aux transformations ultralibérales entraîna une baisse générale de la mobilisation sociale. Ainsi l’Eglise put continuer sa propagande pour la criminalisation de l’avortement via ses partis ou directement dans les lieux de cultes. Tant que les manifestations étaient suivies par les médias occidentaux, les députés polonais renvoyaient le projet en commission. Mais fin 1992 la transformation ultralibérale de la Pologne était garantie, notamment par des gouvernements auxquels participa l’extrême droite fondamentaliste. Les médias occidentaux cessèrent donc de s’intéresser à la question. C’est ainsi qu’en janvier 1993, après une spectaculaire apparition du chef de l’Eglise Polonaise au Parlement où il menaça de retirer le soutien de l’Eglise aux réformes ultralibérales, les députés, soucieux de sauvegarder leurs privilèges de nouvelle élite, acquis aux thèses ultralibérales et masculins dans l’écrasante majorité, votèrent l’interdiction de l’avortement.
Lorsque le parti socialiste revint au pouvoir en 1993 et surtout après l’élection de M. Kwasniewski, chef du parti socialiste, au poste de Président de la République, les électeurs demandèrent au gouvernement d’abroger la loi antiavortement car c’était une des promesses électorales du parti. Selon les sondages, en 1989 70% des Polonais, femmes et hommes, se prononçaient pour la liberté de l’avortement, en 2003 ils étaient toujours 60% après une décennie de propagande cléricale. Il était clair que le maintien de cette loi inique était un déni de la démocratie.
Un projet de loi autorisant l’avortement en cas de danger pour la mère, de malformation de fœtus, en cas de viol et en cas de « situation sociale difficile de la mère » fut promulguée, mais le Tribunal Constitutionnel abrogea en 1996 la dernière disposition, comme étant contraire à la Constitution. Depuis, l’avortement n’est autorisé que dans les trois premiers cas, mais les obstructions du corps médical sont telles que le nombre d’avortements légaux pratiqués est ridiculement bas. La Fédération pour le Planning Familial souligne que la majorité des avortements légaux sont refusés et donc pratiqués dans l’illégalité. Selon cette association, il y entre 80 000 et 200 000 avortements illégaux en Pologne pratiqués par des médecins dans des cabinets privés pour des sommes allant de 2000 à 4000 Zlotys (500-1000 Euros).
Outre les complications que peuvent poser certains de ces actes illégaux (le médecin risque 3 ans de prison), il s’avère que l’interdiction de l’avortement est une façon facile de privatiser l’accès aux soins, un des objectifs majeurs des politiques ultralibérales. Car ce sont les mêmes médecins qui pratiquaient avant 1993 des avortements gratuits et légaux qui effectuent les mêmes actes devenus illégaux pour des sommes extrêmement élevées. C’est le montant de cette somme qui détermine aujourd’hui l’accès des femmes polonaises à l’avortement. Une femme aisée peut payer cette somme et ne pas ressentir l’injustice de la loi criminalisant l’acte médical, mais une femme issue des classes défavorisée ou de la campagne n’a comme choix que les avortements sauvages pratiqués par les non-spécialistes avec tous les risques que cela comporte pour sa vie et sa santé, sans parler que l’accès à un avortement médical illégal peut être impossible dans certaines régions du fait de l’inaccessibilité des services de soins. Les infantidicides et les abandons d’enfants sont evidemment en hausse alors que ce problème était marginal en 1989.
La lutte pour la liberté de l’avortement n’a donc jamais cessé en Pologne, malgré la propagande quotidienne de l’Eglise contre « la culture de la mort » et les attaques parfois physiques des partis d’extrême droite. En 2001 les Polonaises ont invité le bateau-clinique hollandais Langenorte pour soulever un débat sur le sujet et surtout exiger la tenu d’un référendum sur la question. Le référendum a toujours été refusé par l’Eglise car les sondages démontrent toujours l’hostilité de l’opinion face à cette loi. Les féministes ont également organisé un Tribunal ou les femmes ont pu témoigner des souffrances endurées du fait de la criminalisation de l’avortement. Mais l’élite politique polonaise est convaincue qu’elle ne peut maintenir le régime politique et social sans le soutien de l’Eglise. Il suffit dont à l’Eglise de faire un chantage permanent pour que tout projet de loi autorisant l’avortement soit abandonné sans débat politique. Par exemple, l’Eglise a signé en 2000 un accord avec le gouvernement socialiste stipulant qu’elle ne soutiendrait l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne que si les socialistes s’engagent à maintenir l’avortement interdit. Ainsi fut fait : les socialistes ajoutèrent au traité d’adhésion à l’Union la réserve de maintenir la prérogative nationale sur cette question. Et l’Union laissa faire... les droits des femmes n’étant visiblement pas dans ses objectifs.
Les femmes socialistes ont déposé un n-ème projet de loi « sur la parentalité responsable » au parlement le 15 février 2005 mais ce projet n’a même pas été examiné par le parlement. Les députés socialistes hommes ont montré là tous le mépris qu’ils ont pour la situation des femmes.
La triste page de l’histoire polonaise, qui a pour emblème l’aberrante notion de « l’enfant conçu », pourra-t-elle enfin être un jour tournée pour le bien, la stabilité et la démocratie de toute l’Europe ? Les Polonaises ont besoin du soutien de tout/es les Européen/nes. Il est scandaleux qu’en 2005 des femmes meurent d’avortement clandestins en Europe. Mobilisons nous contre cette barbarie !
Voir le site du Planning Familial Polonais www.federa.org.pl en polonais et en anglais
Monika Karbowska