Affection et hiérarchisation, sans issue...

11 mai 2005 par Phall, colaire

J’ai envie que tu me prennes dans tes bras, est-ce-que je peux dormir avec toi ? Je ne sais pas comment on demande ça, je suis pas de "celles" vers qui les filles ou les garçons viendront de manière naturelle caresser les cheveux, faire un bisou ou demander de la tendresse.

Je ne fais pas partie du "centre" des collectifs, je ne suis pas "chef-e". Je ne suis pas particulièrement jolie et je ne suis pas "stylée", "fun" pour rattraper ça. Je n’aime pas suffisamment mon corps pour ça ou j’ai appris à ne pas avoir assez conscience de son existence. Le "styler" voudrait dire que je veux le mettre en valeur. J’ai trop honte de lui (moi) et peur des moqueries, quand j’essaie. C’est pour ça que vous ne m’avez jamais vue me déguiser pour des photos de zones de gratuité ou jouer le rôle d’un gangster, de squattwoman, de quelqu’un qui "assure". Quand je me regarde dans une glace chez moi, je me trouve jolie, mais quand c’est un miroir ailleurs, je me trouve vilaine. Je vais alors avoir honte pour toute la journée de mon corps, de mes vêtements et de mon visage. Je vais avoir envie de le cacher, de l’oublier, sans savoir comment faire. Sûrement que ça a à voir avec tous ces garçons du collège qui se mettaient autour de mon corps (moi) pour lui dire qu’il était tellement vilain que je devrais en avoir honte et me (le) cacher. Aussi ces copines qui sont venues me voir pour me dire qu’elles allaient me relouquer parce que telle que j’étais, c’était normal que tout le monde me fuyait. Bref, je ne trouverais jamais de mari avec ce louque ! Mais avant tout, mon frère et mon père m’ont bien appris qu’il y avait d’un côté les mères valorisées pour leur prise en charge du domaine affectif et familial et de l’autre les "putains" désirées pour leurs corps, le "sexe". Alors j’ai appris à gérer les relations affectives, à soutenir les autres, analyser les situations. D’ailleurs, est-ce-que je ne passe pas la plupart de mon temps à analyser les situations relationnelles ou à prendre en charge les autres ?

Là, je dévie un peu, mais pas tant que ça. Je ressens cette séparation : corps/tendresse/affection corporelle - pote/amie/soutien affectif ; et je ne sais pas comment faire pour apparaître à vous/toi, en tant qu’une personne qui a besoin d’être prise dans des bras, qui n’a pas envie de dormir toute seule parfois, qui a besoin qu’on lui dise qu’elle est belle, qu’elle donne "envie". Envie de tendresse, envie (même) de sensualité. Parfois, je suis à côté d’ami-e et j’aimerais que ça soit simple de se faire un bisou dans le cou (j’aime bien faire des bisous dans le cou), de se faire un câlin. Parfois, j’en viens à regretter que les mecs ne me draguent plus dans la rue, juste pour me rassurer que j’ai un corps potentiellement sexuel.

Je suis triste de voir des personnes être bombardées d’attention affective, parce que ça me renvoie à mon image en "creux" : moi, je ne fais pas partie des ces gen-te-s là (ou peu). Je suis touchée particulièrement par des filles recevant de la tendresse par d’autres filles. Un garçon, j’y verrai avant tout une figure du patriarcat car c’est surtout un mec avec plusieurs filles autour de lui que l’on voit. Alors, ça m’énervera plus que me rendra triste. Les questions de styles sont très présentes entres filles sur Grenoble (et pas qu’entre filles). Entendre des filles dire d’une autre "comme elle a la classe, ça me donne envie de l’embrasser", me rend triste. Je me sens ne pas avoir la "classe" et donc ne pas donner envie d’être embrassée. Sur Toulouse, je ressens plus une bienveillance entre les unes et les autres. On est très différentes, mais on fait plus attention aux unes et aux autres, même s’il y a des liens particuliers entre des filles. Puis ça me donne l’impression - par-dessus le fait de peu faire partie des filles à aimer pour les garçons - de ne pas faire partie des filles à aimer pour les filles. À côté, au niveau de mes (ma) relations hétéro, je me sens dans une faible autonomie affective. Le fait d’avoir une relation affective avec un garçon tous les 3 ans, donne envie de s’accrocher à celle que tu as. Puis l’idée de relation libre, lorsque l’un (et non l’une) a différentes sources de tendresses, d’affections et l’autre non, c’est de la foutaise ! Et demander à un garçon de dormir à côté de lui, sans qu’il pense sexualité, c’est rare. Ça limite (en partie) ta recherche de simples câlins, de simple présence.

Je ne pense pas que les gen-te-s se sont concerté-e-s pour rester à distance de moi ni que c’est ancré en moi (quoi que) ; mais que mes attitudes, mes comportements amènent à ne pas avoir envie de tendresse avec moi, que ça n’effleure pas l’esprit. Je ne sais pas quelles sont ces attitudes, j’ai déjà demandé à des personnes proches, mais ils/elles pensent juste que j’hallucine parce qu’elles/eux me voient comme "corporelle". Je n’ai pas appris à être quelqu’un à aimer, à être "aimable" en peu de temps comme souvent les garçons et les filles centraux/ales dans nos collectifs. Toutes mes amitiés se sont faites avec du temps. Je crois (j’espère) que j’exprime verbalement ou par une attention aux autres mon affection, mais pas corporellement. Je ne sais pas quoi en faire de ce corps qui me semble peu "aimable". J’ai peur qu’on me dise "tu n’as pas honte de me demander de le (te) prendre dans mes bras !", comme au collège. J’ai aussi souvent peur de déranger les gen-te-s et qu’ils/elles n’osent pas me le dire. Dans ces cas-là, j’ai tendance à restreindre les manifestations de mon affection pour elles/eux, à mettre mon corps en retrait. Ensuite, je me rends compte que quand je ne vais pas bien, mon corps me brûle d’absence affective. Si je me sens abandonnée par quelqu’un-e, je ressentirai le contact de celle/celui-ci comme une agression. J’ai du mal à le contrôler, alors que j’ai justement besoin qu’on me console, de sentir que je ne suis pas répugnante.

Mais quoi vous demander ? On ne peut pas forcer les gen-te-s à avoir de la tendresse envers telle ou telle personne. En même temps, moi, je pense avoir envie de prendre tout le monde dans mes bras ou de dormir à côté de lui/elle, si il/elle en a besoin. En ce qui me concerne, lorsque j’ai envie de demander qu’on me prenne dans des bras, ce n’est pas toujours des bras spécifiques. Des fois, j’aimerais avant d’aller me coucher juste dire : "est-ce que quelqu’un veut bien dormir avec moi ?", et c’est tout. Juste dormir à côté de quelqu’un-e. Est-ce-que je m’en fiche parce que ça ne m’arrive pas souvent ou que c’est un peu tout le monde comme ça. Après, j’ai aussi envie de tendresse et d’affection de personnes spécifiques. On ne peut pas non plus ne pas se poser de question face à la dissymétrie dans "l’obtention de tendresse" entre des personnes. J’ai appris à exprimer ce que je ressens, à écrire, ça m’a permis de me rapprocher de gen-te-s. D’autres ne se sont pas appropriés ces capacités. Par ailleurs, ce pouvoir de parole et de l’écriture lié à ma classe sociale (d’origine et actuelle) me donne d’emblée une place favorable dans nos collectifs (de même pour ma peau blanche). J’ai l’impression de recevoir une reconnaissance sociale du fait de faire des études sur le genre, notamment que vous me faites plus facilement confiance dans mes opinions. J’ai alors aussi accès au discourt "cérébral" que l’on a tendance à tenir entre intellectuel-les squatteur-euse-s, je suis plus autorisée à écrire sur des sujets politiques et pleins d’autres choses encore.

Pour finir, je voulais dire que j’ai l’impression d’avoir plein de gen-te-s autour de moi et qui me disent qu’ils/elles m’aiment. C’est nouveau pour moi et extrêmement précieux. On ne me l’a pas souvent dit et je pensais pas qu’on pouvait me le dire autant, comme je ne pensais pas qu’on pouvait avoir envie de faire tant de choses avec moi. Alors je suis plutôt bien lotie dans ces hiérarchies. C’est ça aussi qui m’a donné la force et l’envie d’écrire ce texte. Parce qu’il y a des filles à qui on dit plus rarement "je t’aime", parce que d’autres ont moins que moi de ressources affectives et plus on se sent seule et non "aimable" et plus c’est difficulté de l’exprimer.

Je stop là mes réflexions, j’aimerais bien en discuter avec des gen-te-s, en groupe, formel, informel, à deux, par mail. Si vous avez des conseils à me donner aussi, car je me sens un peu perdue...