J’avais partagé l’intimité sexuelle avec E., mais une autre intimité me restait à découvrir, qui représentait "être en couple" pour la jeune fille de seize ans que j’étais : passer toute une nuit ensemble, faire du sexe dans un lit (!) et dormir l’un près de l’autre.
J’ai donc demandé à ma soeur si je pouvais dormir chez lui. Elle n’était pas prête à prendre cette responsabilité, alors j’ai respiré un grand coup et appellé les parents : ils nous laissaient libres de faire ce que nous voulions, mais le contrat était qu’ils sachent où nous étions au cas où quelque chose arriverait. En l’occurence, ça m’ennuyait de les informer de ma vie sexuelle (non pas que ce soit un "problème" ou qu’ils m’aient interdit quoi que ce soit, mais j’ai une conception assez forte de mon intimité envers eux). Cette formalité accomplie, j’ai passé une bonne partie des jours suivants chez E., à faire du sexe intensivement.
La seconde fois, donc. Dans son lit, nous faisons l’amour de nouveau, et je n’ai plus peur et j’apprends et j’expérimente et je tente de comprendre comment ces trucs me provoquent tout ce plaisir. Après plusieurs heures (E. est le mec le plus "endurant" que j’aie connu), il éjacule en moi (plus tard, j’apprendrai à sentir les jets traversant le pénis, en contractant les muscles de l’entrée de mon vagin ; mais là je le sais parce qu’il retombe sur le lit près de moi, vidé de ses forces). C’était bien, amusant, interessant, agréable, je m’interroge pour savoir combien de temps il lui faudra avant qu’on puisse recommencer. Et là, il me demande : « - Tu as eu ton orgasme avant ou après moi ? »
En une seconde, mon univers s’écroule. L’orgasme, je sais ce que c’est, je me masturbe depuis des années... et je sais que je n’en ai pas eu. Je n’en ai pas cherché, à vrai dire : absorbée dans la découverte de nouvelles sensation vaginales, je ne me suis pas encore demandé comment concilier cela avec l’orgasme, que j’obtiens en me concentrant et en stimulant mon clitoris.
Je me sens désemparée, parce que le plaisir que nous avons partagé est encore au-delà de ma compréhension, je ne le maîtrise pas et je croyais que lui savait ; et sa question ne me laisse pas latitude d’exprimer ça, elle exige que j’en aie eu un alors que je n’y avais pas encore pensé. « - Heu, à peu près en même temps je crois. »
C’est ce qui me semble le plus sûr : c’est le moment où, sans doute, il était le moins attentif à ce qui se passait en-dehors de lui. Et moi je n’ai aucune idée de ce qui lui fait croire que j’ai eu un orgasme. « - Mmm, c’est ce que je préfère », dit-il en blotissant son visage dans mon cou et en me serrant contre lui.
Mais la bulle de complicité que nous partagions quelques secondes auparavant a explosé. Je sens son corps nu contre le mien, pourtant je regarde le plafond en me sentant terriblement seule.