De pourquoi les blagues sexistes nous donnent la nausée (Un appel à contributions)

1er avril 2007 par  Hyde & Jekyll

Un appel à contributions pour un futur recueil de blagues déclassées, antisexistes, tu vois le genre ?

Deux textes contre la suprématie de la blague moisie sexiste dans les fins de repas du dimanche. Deux textes écrits comme une introduction à ce recueil.

Nous (deux individuES) avons écrit deux textes, un chacunE, pour expliquer pourquoi nous détestons les blagues sexistes. Ils sont là, un peu plus bas dans l’article.

Après ça, on voulait vous demander : est-ce que vous avez de bonnes histoires droles anti-sexistes ? Des feintes pour répondre aux insultes homophobes et patriarcales, à lancer dans des dîners de famille, des histoires où gouines, trans, femmes, pédés, hommes (etc) sortent des stéréotypes ?

On en cherche tout plein, des vertes, des pas mûres, des droles et des désespérées, et vous pouvez envoyer les vôtres (jusqu’en juin 2007) à hahaha(at)boum.org.

N’hésitez surtout pas à nous envoyer ce qui vous passe par la tête, des inventions, des récits de situation, de toutes façons on sera super subjectifs pour la sélection héhé, bref, lâchez-vous.

Au fait, vous savez pourquoi les pédés ont deux trous dans leur slip ? Ben comme tout le monde, pour passer les jambes (okay, elle est connue).

Moquons-nous du patriarcat !!!


Ce texte explique pourquoi je n’aime pas les blagues sexistes.

Lorsque des hommes apprennent que je suis féministe, 98% d’entre eux enchaînent, hin hin, sur des blagues sexistes. Je ne les ai jamais trouvées drôles, mais depuis un moment, je ne me force plus à ricaner comme la plupart de mes congénères. Face à mon indifférence, mes interlocuteurs sont souvent mal à l’aise, et le verdict tombe : « tu n’as pas d’humour », « allez rigole, c’est du second degré »... etc. Je m’insurge. J’ai de l’humour, j’aime rire, j’aime les blagues nulles, les blagues sexuelles, je suis bon public. Les blagues qui ne me font pas rire, ce sont celles dont le but n’est pas de faire de l’humour. Je me demande souvent ce que cherchent les hommes qui font des blagues machos, à tous les degrés que ce soit :

1/ Asseoir leur pouvoir, l’affirmer Chez les machos revendiqués, faire une blague sexiste (comme raciste), c’est rappeler qu’ils sont en position dominante, qu’ils ne sont pas des femmes, des pédés (des Arabes). Ca sert à humilier celles et ceux qui ne sont pas en position dominante, à leur rappeler « leur place ». Ca sert à exprimer le fond de leur pensée, sans que cela puisse être discuté, contesté, vu que c’est « de l’humour ».

2 / La guéguerre des sexes Ceux qui sont plus libéraux vont sauter sur l’occasion qu’il y ait une féministe (surtout lors des repas de famille) pour jouer à la guéguerre des sexes. Jean-Luc largue sa blague fumante sur les blondes : connivence masculine, rires complices. Tante Jeanne, qui ne se dit pas féministe, mais quand même, contre-attaque : « Pourquoi les femmes ratent leur créneau ?... Parce que les hommes leur disent toujours que « ça », ça fait trente centimètres. » Ça tourne à une liste de stéréotypes sur les femmes et les hommes, chacun reste dans son camp, les moutons sont bien gardés... et les femmes débarrassent après le dessert. Que les femmes soient exploitées, à la maison, au travail, humiliées, agressées, violées, plus que les hommes, et principalement au sein des familles, cela passe sous silence. Il n’y a pas violence de classe, mais « les hommes et les femmes sont différents, c’est pour ça qu’on se chamaille tout le temps ». Ce que ces blagues disent, c’est qu’il n’y aurait que de faibles inégalités entre hommes et femmes, donc on peut en rire, et se moquer des féministes qui ne sont, au fond, que des mal baisées.

3/ « Je suis au-dessus du lot » Le plus étonnant est que la plupart des hommes qui se disent « humanistes », « progressistes », « de gauche » ou « d’extrême gauche », tout comme « anarchistes » ou « libertaires », « pour l’égalité entre les sexes » font exactement les mêmes blagues que les autres quand ils apprennent que je suis féministe. Quand je demande où est l’humour, « c’est du second degré », « c’est pour se moquer des mecs lourds ». En somme, eux seraient au-dessus du lot. Ainsi de Manu qui lance « c’est pas du viol, le viol c’est quand on veut pas, moi je voulais », et qui met la pression à ses copines pour avoir à chaque rapport un coït. Ainsi de Marcel « ah bon, les femmes ça pense ? », qui a lu de nombreux ouvrages féministes, mais coupe la parole aux femmes, les reprend, les corrige, s’adresse aux hommes quand il parle de sujets théoriques. Ainsi de Jean-Yves « Si tu ne sais pas pourquoi tu la bats, elle elle le sait », qui fait régner chez lui la terreur tellement ses colères sont violentes. Ainsi de Paul « Mais c’est les femmes qui ont le pouvoir par derrière. Non je plaisante, je sais bien que c’est pas vrai », et qui laisse négligemment son épouse faire 75% du travail domestique. Et ainsi de René, que j’aime bien. Ils se permettent ce genre de blagues, parce qu’ils nient au fond la réalité de l’oppression, la violence de mon vécu. Feraient-ils des blagues à un esclave sur les coups de fouets ? Non. Mais une femme qui se fait tabasser par son mari, c’est dans leurs têtes moins violent qu’un coup de fouet. Feraient-ils des blagues sur les nègres à des membres de black panthers ? Non. À une féministe on peut, parce que les femmes ça va pas vous foutre son poing dans la gueule. Font-ils des blagues racistes ? Non plus. Mais le sexisme, au fond, ça reste drôle, ha ha. Faire des blagues sur les violences conjugales, les viols, la soit-disant infériorité physique et mentale des femmes, et me demander d’en rire, c’est nier le fait que j’ai pu être frappée par mon copain et/ou violée, et humiliée au jour le jour. C’est nier que je souffre de la situation actuelle, et que j’ai envie de tout cramer. Jamais ils ne feront de blagues sur l’abondance de bouffe à quelqu’un qui crève de faim. Mais des blagues sur le viol à une femme qui vient de se faire violer, ça ne leur fait pas peur.

Vous l’avez compris, je n’aime pas ces blagues. Dites par des hommes, à tous les degrés, elles me rappellent que je subirai toute ma vie ce que eux n’auront jamais à subir. C’est tout de même fou. J’ai beau être blanche, il ne m’est jamais venu à l’idée d’appeler mes potes beurs « Mohammed ben couscous ». À n’importe quel degré. Et pourtant j’aime rire. J’aime quand des femmes font des blagues sur les gonzesses, ou quand des Noirs font des blagues sur les nègres. J’aime rire de la situation et de son aspect dramatique. J’aime quand on se moque du sexisme. J’aime le sketch de Coluche sur le violeur, où il est tellement subtil que plus d’un s’y reconnaissent. J’ai rien contre Desproges, qui crache sur tout et tout le monde, pas seulement sur les dominé-e-s. J’aime les pédés qui se traitent d’enculés.

De toute façon, entendre toujours les mêmes blagues sur les femmes, les pédés, et l’étranger, ça me saoûle. J’en viens à considérer les 2% d’hommes qui évitent ces blagues comme des rescapés de la lourdeur et de la connerie humaine.

Soyons inventi-f-ve-s que diable, et marrons-nous !


"Ouai, j’en ai une, elle est trop bien, vazy. Alors, c’est l’histoire d’une blonde..."

En fait, ta blague je sais déjà qu’elle est moisie. D’ailleurs, à chaque fois que j’entends un non-nain raconter une histoire "drôle" sur les nains, c’est pas marrant, ça donne déjà envie de pleurer. En fait, rien de plus anodin qu’une blague (et rien de plus triste, désespéré que l’humour), c’est passe-partout, ça détend l’atmosphère, c’est léger, "c’est de l’humour". Si tu rigoles pas, faut "péter un coup", "être moins coincé"...

Chaque jour, grâce au merveilleux pouvoir de la blague (tm), et de bien d’autres dispositifs, on entretient avec légèreté nos stéréotypes racistes, sexistes et autres. C’est simple, il suffit de mettre en scène dans un récit ou une devinette simple des personnages "typés" et de leur faire faire ce qu’on attend d’elleux (de la blonde stupide qui couche avec tout ce qui passe, à l’arabe voleur qui sent mauvais, en passant par la femme idiote qui fait la vaisselle, le juif avare...), et tout le monde se bidonne, on peut rire de tout, haha, génial.

La blague est un des outils infra-culturels des groupes dominants, qui continue et entretient leur monde, dans les corps et dans les crânes, au quotidien. Elle perpétue de manière diffuse en moi/nous la domination sexiste des hommes sur les femmes et les représentations de la normalité déjà à l’oeuvre dans ce monde. Dans ma vie, j’ai pas vraiment eu l’occasion d’apprendre des blagues qui permettent de rire du mâle blanc européen hétéro et bien portant (j’en suis). Nos histoires drôles, celles qui circulent couramment, des collèges, aux fins glauques de repas de famille, en passant par le bistro, jusque dans les milieux autorisés de gôche, voire libertoïdes, elles mettent en scène l’autre, l’inconnu auquel je ne peux m’identifier, que je conjure et enferme en l’incarnant dans des personnages débiles et sans épaisseur sur qui je puisse me sentir supérieur.

Voilà pourquoi je n’aime pas les blagues sexistes, homophobes (entre autres) : elles se ressemblent toutes, et puis les blagues sur les blondes ne sont vraiment drôles que racontées par des blondes, et bien souvent ce n’est pas le cas... Voilà aussi pourquoi je kiffe bien l’idée de ce petit recueil de plaisanteries « déclassées », parce qu’on a besoin de forces, de signes, de chansons, et même de blagues en commun, qui ne font pas circuler toutes ces catégories comme des rappels à l’ordre, on a besoin d’apprendre à rire de nos ennemis ET de nos faiblesses.

On a besoin d’en rire, et d’en pleurer ensemble.

Ouais, attends, j’en ai une bonne...