Une hétérosexualité est-elle possible hors de l’hétéro normalité ?

9 juin 2007 par  Muriel

On parle encore aujourd’hui de LA sexualité. Triste réalité d’une représentation sociale de celle-ci qui se décline sur une seule pratique sexuelle reconnue « normale » : la pénétration pénienne avec éjaculation vaginale. Hors de ce schéma très sexué point de salut. Ainsi un homme acceptera difficilement d’être pénétré par sa partenaire sous prétexte que « j’suis pas un PD moi » !

Cette représentation unique de la sexualité est la conséquence d’une vision binaire du monde : on est sexuellement masculin ou féminin. S’il on est masculin, on a une sexualité active, entreprenante, puissante tandis que si l’on est du côté féminin on porte la douceur, la passivité, la fragilité et l’invitation sexuelle muette. Et c’est cette même bi-catégorisation de la sexualité qui génère le culte de la sexualité conquérante chez les hommes et impose aux femmes un rôle de soumission sexuelle. Quelle femme n’a pas été confrontée à la demande de son partenaire sexuel de la sodomiser ? Mais, lorsque cette dernière lui renvoie la question, très souvent elle s’entend répondre que « surtout pas car j’ai peur d’avoir mal ! ». Selon quel fonctionnement des rapports hommes-femmes un homme peut-il demander à sa partenaire un acte sexuel dont il pense que ça fait mal ?! Cette vison binaire du monde entraîne également une autre catégorisation des femmes entre deux catégories la « femme bien » avec qui on a une sexualité « normale » (telle que définie ci-dessus) et la « putain » avec qui on peut réaliser certains fantasmes comme celui de la sodomiser par exemple. C’est plus bandant dans l’hypocrisie !

Contre la sexophobie : Fuck les normes
Cette hétéro normalité révèle aussi la sexophobie ambiante de notre société. Nous vivons dans une société bien pensante mais mal baisante. Ce qu’il est permis de faire : avoir une sexualité hétéro classique d’où la stigmatisation des homosexualités : les gays sont renvoyés dans la catégorie inférieure des femmes, les lesbiennes sont invisibilisées comme n’ayant pas de sexualité. Ce qui est valorisé : avoir une sexualité conquérante quand on est un mec d’où la valorisation des valeurs négatives de non respect de sa partenaire et comme revers, l’estime de sa partenaire comme synonyme d’apathie sexuelle.
La solution n’est pas de réduire au maximum les pratiques sexuelles acceptables. Ainsi, le discours puritain féministe, hétéro ou lesbien, qui prêche le refus de la pénétration comme seule alternative aux rapports de domination relève de la sexophobie et appauvrit la sexualité. Version plus moderne du « politiquement correct » en matière de sexualité : les hommes pro-féministes qui affirment que la seule façon acceptable de faire l’amour c’est d’être dans la douceur, la lenteur (qualités que l’on dit innées chez les femmes). Cela revient à considérer qu’on ne devrait jamais avoir envie de baiser comme un ou une « barjot ». La norme a changé pour une nouvelle... norme. Donc, certaines pratiques seront prohibées, vive la frustration !

Quant à celles qui revendiquent l’utilisation de sex toys, elles font carrément peur. Pourtant, leur utilisation déplace le rôle central de la pénétration pénienne avec éjaculation vaginale. L’utilisateur apprend que son pénis n’est pas l’unique source de plaisir, l’utilisatrice apprend que le vagin n’est pas le centre de sa sexualité.
Les sex toys permettent aussi de dépasser la binarité actif / passif. Si chacun-e peut aussi bien être pénétré-e ou pénétrer la relation est plus égalitaire. L’utilisation d’un dildo, pour sodomiser son partenaire par exemple, relativise la représentation fantasmatique que l’on se fait de la sexualité de l’autre. Les hommes découvrent qu’être pénétré n’est pas synonyme de soumission, les femmes découvrent le plaisir de certains mouvements liés à l’action de pénétrer. On déconstruit aussi le discours social autour du phallus. Etre pénétré par son amie ne fait pas du partenaire un sous homme. Pénétrer son ami fait comprendre concrètement que la construction sociale du masculin n’a pas grand-chose à voir avec la possibilité de pénétrer mais tient toute entière dans la symbolique du phallus.
Il s’agit d’une prise d’autonomie pour les deux. L’utilisation de sex toys peut faire partie de rapports hétéros mais ça bouscule le préjugé selon lequel le corps de l’homme est le seul vecteur du plaisir féminin. Les hommes sont rappelés à cette réalité que les femmes peuvent avoir du plaisir sans eux. Les femmes s’autorisent désormais à se donner du plaisir via un objet qui n’a rien à voir avec un pénis. La relation se joue alors entre deux êtres autonomes aux désirs divers qui ne sont plus prisonniers de leur genre masculin ou féminin.

Gesticulons radicalement, orgasmons gaiement !

Post-scriptum

Article publié en 2003 dans le fanzine queer Dildo