Une lettre. Qui ne parviendra probablement jamais à son destinataire. Mais qu’importe, cette lettre peut bien rester morte tant qu’elle me permet à moi de ne plus l’être.
J’ai donc décidé de m’adresser à toi sur le mode épistolaire, à la deuxième personne. Quoi de plus normal, après tout. Après tout, après tout ça, plus rien n’est normal. Ou plutôt si. Je le suis devenue. Car le « je » et le « tu » ont fusionné pour donner naissance au « nous », à un « nous » normé, normalisé, et le « je » s’est égaré en chemin. Je dois t’externaliser, m’exorciser de toi, libérer mon moi du toi qui le vampirise.
Toi, qui ne m’as fait goûter au bonheur que pour me faire ensuite vomir le mensonge et l’abandon, écœurée, éventrée d’illusions, de rêves trop cons. Je voudrais pouvoir t’accuser d’avoir fait de moi cette pauvre chose à la dérive, recroquevillée sur sa douleur, mais au fond, je sais bien que je suis autant victime que coupable. Je t’ai laissé t’infiltrer en moi, j’ai bu tes paroles et me suis enivrée de tes caresses, j’ai absorbé tes confidences et entrelacé tes souffrances aux miennes.
Et me voilà « nous ». Mais « nous » a été fracturé, brisé par le « tu » qui s’obstinait à penser et agir en « je », comme si tout cela n’était qu’un jeu. Ton regard est devenu ma boussole, ton étreinte ma camisole. Doucement, insidieusement, à coups de « pardonne-moi » et de « je t’aime » mortifères, « tu » m’isoles, « je » s’étiole…
« Nous » n’est devenu plus qu’une incarnation de tous les « ils » et « elles » qui ne s’enchaînent que pour s’entre-déchirer. Des valets de la norme, bourreaux et martyrs à la fois. « Je » s’est mué en une « elle » parmi tant d’autres, de celles qui se laissent couper les ailes en échanges de quelques miettes d’affection. Une poule.
Non. Jamais. Je suis un vilain petit canard et personne ne peut me mettre en cage. Pas même toi de l’intérieur.
Et « je » regarde mon crayon, seringue par laquelle s’est extrait le poison avant de se répandre en lettres serrées sur le papier. « Tu » t’es déversé hors de moi, enduisant d’encre les pages de ce carnet qui fut tiens, désormais emmuré dans mes mots.