Il est un monde merveilleux rempli d’évidences.
Il y a les bébés roses, à qui l’on apprend la douceur, la vulnérabilité. Leur sphère sera le privé et leur accomplissement la maternité. Ce seront des femmes.
Il y a les bébés bleus, dont on fera les rois de l’arène publique, du pouvoir et de la décision. Ce seront des hommes.
C’est comme ça, il n’y a aucune raison que ça change. Chacun et chacune à sa place est ainsi fabriqué pour se marier, fonder une famille, se reproduire, consommer, travailler, ne pas se poser de questions. Ainsi va la bonne marche du monde, ça n’a pas de nom, c’est normal, évident.
Mais ce monde idyllique est en danger. Les menaces, elles, ont de nombreux noms (enculé, pute, gouine, pédé, salope,...). Ou plutôt des insultes, qui servent d’épouvantail pour quiconque ne rentrerait pas bien dans sa couleur. Et pourtant, des déviants existent. Mais ils doivent rester sagement à la porte.
Dehors ces êtres masculins qui ne veulent pas devenir des hommes, dominateurs de l’autre moitié de l’humanité !
Dehors ces êtres féminins qui préfèrent leurs amantes à leur maître (que beaucoup appellent mari) et qui revendiquent leur plaisir sexuel !
Dehors ces êtres qui se construisent des identités ne correspondant pas au rose ou bleu de leur naissance !
Pour cela, ce monde dispose d’armes d’invisibilisation massive, de missiles de la honte et autres bombes biologisantes. Autant d’outils puissants, qui confinent les pas-comme-il-faut dans le placard, les poussent à se taire, à donner une bonne image, dans l’espoir d’être un jour considérés comme tout le monde, enfin normaux.
Un jour, les déviantEs refusent de se taire. En observant du dehors ce monde qui vivrait si bien sans elles, elles réalisent que le rose et le bleu sont bien trop étriquées ! Alors elles se nomment et nomment le monde. Elles renomment les évidences en oppression et aliénation. Puis elles prennent les armes à leur tour : les missiles anti-missiles de la fierté. Désormais, elles sont trans, pédés, gouines, féministes. Le monde n’est plus normal, il devient hétéropatriarcal.
Elles sont fières de ne pas êtres complices de la domination masculine, fières d’explorer les terres interdites du désir, fières de pratiquer des sexualités non reproductives, fières d’adopter tour à tour les identités multiples qui s’offrent à elles, fières de sortir de l’asservissement de la Femme.
Elles n’étaient pas les seules à la porte. Du dehors, il apparaît que la couleur de peau et le pays d’origine sont aussi des motifs d’exclusion. Qu’une majorité crée des richesses au profit d’une minorité. Que les puissants se font la guerre pour être plus puissants. Qu’on pourchasse les prostituéEs parce que le sexe reste tabou.
La catégorisation aliène tout le monde. Alors certaines personnes du dedans réalisent que rose ou bleu ne leur convient pas non plus. Que vouloir devenir un vrai mec ou une femme parfaite est illusoire et aliénant. Mais les missiles de la honte et les grenades du conformisme continuent à pleuvoir. Des déviantEs persistent à vouloir intégrer ce faux-semblant de paradis, et, bien au chaud sous la couverture de honte, ils cautionnent, sans s’en apercevoir, l’apparente puissance de ce monde.
Faisons la preuve que vivre autrement est possible,
dénonçons l’hétérosexualité comme système politique,
refusons la nature, la normalité, l’ordre symbolique.
Affrontons la morale, claquons fièrement la porte, ne soyons plus complices de la mascarade hétérosexuelle.
Désintégrons le système plutôt que tenter de nous y intégrer.
Il nous fait la guerre.
Repensons autrement les rapports humains.
Les pAnthèrEs rOses. 2003
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