Sur le couple

20 juin 2005 par  Aude

Quelles sont les différentes attentes des hommes et des femmes par rapport au couple ?
Mathilde : Je suppose que les attentes vis-à-vis du couple dépendent du sexe. Les petites filles à qui l’on offre des poupées Barbie en robe de mariée doivent plus rêver d’amour romantique et de mariage que les petits garçons qui reçoivent en cadeau des flingues en plastique.... Je suis effarée quand je lis les magazines « pour filles » de ma soeur âgée de huit ans : il y est question d’amour, de garçons, de séduction... Christine Delphy dit que les femmes sont conditionnées, qu’elles grandissent dans le mythe de l’amour romantique qui dure... Souvent on laisse entendre que la réussite du couple est plus importante pour une femme que pour un homme (on dit : « réussir sa vie de femme » jamais « réussir sa vie d’homme »). Les femmes seraient plus « dans le couple » que les hommes.
Anne-Gaëlle : Déjà, on peut dire que femmes et hommes n’ont certainement pas les mêmes attentes par rapport au couple. Pour aller vite je dirai que les hommes ont besoin d’être rassurés dans leur ego (les femmes aussi certes) mais il y a beaucoup plus d’avantages pour un homme que pour une femme : notre société donne un rôle prépondérant à la figure masculine au sein de la famille et légitime donc le pouvoir exercé par celui-ci dans cet espace. De plus l’exclusivité est la base de l’appropriation d’unE individuE par unE autre, donc on ne peut construire des rapports égalitaires sur cette base. De plus, pour un homme, le couple est quasiment (peut-être moins aujourd’hui) garant de la fidélité de sa partenaire alors que les relations extraconjugales sont implicitement admises pour l’homme.
En fait, je dirais que hommes et femmes à la recherche d’une vie en couple recherchent avant tout une sécurité et rentrent donc parfaitement dans la paranoïa ambiante. La sécurité, aujourd’hui c’est vivre selon des normes imposées afin que personne ne vienne t’emmerder dans ta vie quotidienne et ne porte de jugement sur tes choix.

Les femmes souffrent-elles du couple comme nous le disent les enquêtes sur la santé mentale des femmes mariées ? Souffrent-elles quand elles sont en couple ? Quand elles n’y sont pas ?
Mathilde : Si les femmes souffrent en couple, c’est sans doute parce qu’elles sont harassées de tâches ménagères en plus de travailler à l’extérieur, c’est sans doute parce qu’elles sont responsables de la bonne marche du ménage, elles doivent materner les autres (enfants et éventuellement mari) mais personne ne les « materne », elles... Bien sûr qu’elles souffrent aussi quand elles sont seules, la souffrance fait partie de la condition humaine. Mais je ne crois pas que les gens en couple soient plus heureux que les célibataires. Le célibat est souvent présenté comme une solution imparfaite, le manque de quelque chose... C’est très idéologique. Ce qui est bien vu c’est de former un couple stable qui élève des enfants. D’où la valeur fidélité.
Anne-Gaëlle : Je ne sais pas ce que disent exactement les enquêtes, en tout cas, il est à noter qu’une part non négligeable des violences faites aux femmes ont lieu dans la sphère privée c’est-à-dire la famille et le couple. Comme je l’ai expliqué au-dessus, le couple est l’espace où l’homme peut exercer son pouvoir dans la plus grande impunité. De plus il crée des liens de dépendances qui ne favorisent pas une vie épanouie puisqu’il n’aboutit pas à des relations égalitaires. Par conséquent je ne vois pas comment les femmes pourraient ne pas souffrir dans cet étau ! Après, je pense que le fait de ne pas vivre en couple, si c’est vécu comme quelque chose de subi et non comme un choix, peut énormément faire souffrir surtout si on recherche à tout prix à se conformer aux normes socioculturelles.

Notre société présente le couple comme modèle de vie dominant. Des alternatives à cette domination ?
Mathilde : Je pense qu’il faut valoriser d’autres modes de socialité, comme tu le dis, l’amitié, le groupe... Pour te dire le fond de ma pensée, je trouve le thème du couple assez chiant. J’ai attendu le prince charmant, puis la princesse charmante, ce qui est peut-être un peu plus subversif mais ne mène pas à grand-chose. Le militantisme, le travail, l’amitié, la recherche d’épanouissement sexuel ont plus de place dans ma vie que l’amour.
Anne-Gaëlle : Il est clair que le couple en tant que mode de relations interpersonnelles basé sur l’exclusivité nous est imposé comme norme socioculturelle. Mais il y a des tonnes d’alternatives, toutes aussi enthousiasmantes les unes que les autres !!!
Je pense notamment à la non-exclusivité , si elle s’accompagne d’une volonté de déconstruction de la norme, d’un dialogue permanent entre les différentEs protagonistes. Je dirais d’ailleurs que la non-exclusivité, avant de se vivre, elle se pense. C’est une manière politique de penser et d’agir. Si on va plus loin, on peut considérer que le concept même d’amour est à revoir peut-être serait-il préférable de parler des amitiés amoureuses ?
Et puis je pense qu’il faut arrêter de croire que notre bonheur passe avant tout par la satisfaction de nos désirs sexuels (même si, je ne le nie pas, cela procure un réel plaisir). Aujourd’hui, j’essaie de mener ma vie sereinement en mettant la priorité sur les relations que je peux entretenir avec mes amiEs, car je sais que ces relations sont basées sur une recherche d’égalité, mes amiEs ne m’étouffent pas, me font rarement des reproches sur ma présence ou mon absence, respectent mes choix de vie, ne sont pas jaloux-ses et peuvent vivre sans moi !
Intrigeri : Mon intuition me dicte que le spectre des relations sociales est tout en continuité, et que tout découpage de ce spectre - par exemple via le langage - est forcément issu d’une construction sociale.
Mais la société capitaliste et son bras armé, la morale bourgeoise normalisatrice, voudraient me voir ranger arbitrairement mes relations dans des tiroirs étiquetés « amitié », « amour », etc.
L’état de couple est un de ces tiroirs ; il implique l’exclusivité amoureuse et l’exclusivité sexuelle. Il commence à une certaine date et se termine à une autre. Élevé au statut norme sociale, il est considéré comme une condition nécessaire à mon épanouissement.
Je ne me retrouve pas dans cette norme.
L’exclusivité amoureuse et sexuelle obligatoire m’oppresse. Je veux pouvoir aimer différentes personnes, à divers degrés de proximité affective et/ou sexuelle, construire différentes relations dans le temps ou fugitivement, simultanément ou non. L’énoncé que je viens de faire est une posture politique. Un refus de l’enfermement, de la possessivité impliqués par le couple.
Je souhaite donc vivre des relations moins enfermantes que le couple.
Et c’est difficile. Car apparaît rapidement, dans cette démarche, un décalage entre posture politique et ressenti. Je m’explique : en tant qu’être social, en tant qu’homme, mes fonctionnements internes sont construits socialement ; il ne me suffit pas d’adopter une posture politique qui me semble rationnelle et épanouissante pour révolutionner, du jour au lendemain, mes ressentis et mon rapport à l’altérité. Je ne veux pas me mentir à moi-même. Je ne peux donc pas décréter que je ne ressentirai plus, que je n’exprimerai plus ni possessivité, ni dépendance affective, ni toutes les autre émotion ou attitude que je refuse d’un point de vue théorique.
De ce fait, je ne puis me résoudre à laisser la dictature du non-dit réguler, par défaut, mes rapports amoureux. Adopter en la matière une posture spontanéiste reviendrait en effet à supposer que mon ressenti s’adaptera, de lui même, à mes idées. Ce serait laisser libre cours au processus de refoulement de celles, parmi mes émotions, qui entreraient en opposition avec mes opinions. Qui plus est, partir de cette supposition ne peut que créer et/ou renforcer le décalage entre mes attentes et celles de mes « partenaires » ; sous un libéralisme amoureux et/ou sexuel affiché peuvent en effet se camoufler dépendances affectives et jalousie, d’autant plus douloureuses et difficiles à combattre qu’elles sont refoulées et non assumées.
Ces considérations m’amènent donc à rechercher, à construire des relations formalisées, au sein desquelles il pourrait être aisé, à moi et à mes « partenaires », d’exprimer, d’extérioriser attentes et envies, frustrations et déceptions. Dans une relation construite dans cette optique, il est primordial de prendre le temps, de ne pas se satisfaire d’une façade officielle reluisante et politiquement correcte, de prendre du recul et de réviser son point de vue à mesure que la situation évolue.
Ainsi, peut-être, est-il possible d’inventer du commun en construisant l’autonomie. L’articulation entre l’individuE et le collectif est un combat permanent. Y compris quand le collectif ne rassemble que deux personnes.