Halte à la dictature des bisoux !

2 avril 2006 par  Jenny

Je me décide à écrire pour répondre au texte de Phall ("Affection et hiérarchisation, sans issue..." du 11 mai 2005). Je me suis reconnue dans ce qu’elle disait. Mais je ne le vis pas comme un problème, une source de souffrance.

Je ne suis pas non plus de celles qu’on "touche", embrasse, caresse facilement. Mon corps est pesant, il prend de la place, mais il est fermé, d’une certaine manière. J’aime pourtant beaucoup les "gens du Sud", qui ont la parole tactile, le geste accompagnant des échanges verbaux. Dans ces cas-là, j’aime jouer aussi à mettre ma main sur leur épaule, à les prendre dans mes bras, et à me laisser faire. Uniquement quand je sens qu’il n’y a aucun sous-entendu, quand c’est une façon de "parler" qui les dépasse même, pas analysée.

Par contre, j’ai de plus en plus de mal avec la façon qu’on peut avoir, dans certains milieux politisés, de construire ce genre de situations, à se créer des personnages dégenrés, hyper-libres sexuellement et sensuellement. Se toucher, se manifester de l’affection en mettant nos corps en avant, trouver "bien" de dormir à côté de quelqu’un pour ne pas dormir seulE et avoir l’impression d’exister plus fort dans ces moments-là ne me va pas. Je me sens terriblement "du Nord", avec une bulle autour de moi. Le sourire est ce qui passe au travers, et je sais que dans ces sourires il y a de l’affection et de la chaleur.

Il y a comme une nouvelle norme à se faire des bisoux, tout le temps, à se faire des câlins, et si parfois ils ont du sens, pour réconforter, rassurer, se retrouver, la plupart du temps ils ne me semblent pas à leur place, me semblent forcés. Les normes créent des ruptures, et cette nouvelle "corporellité" en crée une. Je ne sais pas exactement si elle est récente. Il me semble que dans toute communauté il y a des codes, et dans les communautés en rupture avec le système dominant, on recherche toujours à libérer des aspects mutilés par la norme dominante. Il y a eu les partouzes des années 70, puis la communication capitaliste a donné une place prépondérante aux corps parfaits. Il y a eu la révolution sexuelle et les luttes féministes, puis le patriarcat est devenu insidieux ("qu’est-ce qu’elles veulent encore ?"). La famille explose, les femmes exercent des "métiers d’hommes", le PACS a reconnu l’existence sociale de l’homosexualité, puis...

Nous nous retrouvons comme des enfants à vouloir se faire des bisoux. Il me semble que la tâche est énorme, et la réponse trop facile. La manifestation de l’affection doit, à mon avis, trouver ses formes dans une remise en cause de tout, dans des organisations sociales et politiques nouvelles. Comme le communisme, celui qu’on croit pratiquer parfois, ou le fait de "lutter contre la propriété privée" en squattant, la dictature des bisoux est partielle et n’a de sens qu’en mettant en pratique de véritables changements collectifs. C’est ce que je crois en ce moment, et je trouve qu’on manque d’ambition.

Il y a un certain confort à aimer facilement et à se sentir aiméE aussi facilement. Et je trouve dans Phall une figure bien plus déchirée et "juste", à se demander "pourquoi ça ne marche pas pour moi ?". Comment ne pas recréer de normes entre nous, comment faire vivre nos différences ? Et plus exactement, comment assurer, dans un plan général de changement du monde, un sentiment partagé d’amour, ou de confiance (un engagement), pour cette "instabilité affective" qui nous traverse et nous fait choir parfois. En même temps, la séparation entre le corps et l’esprit est probablement quelque chose contre laquelle il faut lutter. Et les bisoux doivent pouvoir être une part de la solution. (fin, sur une note optimiste)