Je ne veux pas être soignée.

25 janvier 2011 par  John d’Arc

Alors comme ça, vous voulez me la soigner ma bite mentale ? Mais moi je l’aime ma maladie, ma tumeur cérébrale. Elle m’a rendu la vie.

Castratrice ? Ben fallait pas étaler ses couilles sur la table…

J’avais même pas eu le temps de m’asseoir, vous ne connaissiez même pas mon nom. Une question, une intrusion, une agression : t’es féministe ? Putain c’est quoi, un examen d’entrée pour avoir l’insigne honneur d’être le commensal des couillus ? Vous voyez la femme avant la personne, l’hymen avant l’humaine.

Mais non vous n’êtes pas machos, c’est moi qui suit hystérique, qui n’ai pas d’humour. Vous diriez quoi si huit Blancs enchainaient deux heures de blagues racistes en présence d‘un Noir ? Qu’il n’a pas d’humour ? Mon cul. Vous dites « maitrise-toi », vous pensez « méprise-toi ». Alors je serre les dents, je fais semblant. Je ris apparemment à vos conneries, je ris intérieurement de votre lâcheté collective. Je rentre dans ma peau de femme pendant trente seconde, cette saloperie d’enveloppe trop étriquée. Mais c’est pour mieux la faire éclater, ouvrir ma gueule juste après, soutenir le regard jusqu‘à en crever. Bref, être un homme. Essentialisme stratégique. Ben oui, j’ai tenté la troisième voie, mais ça vous a tellement fait perdre pied… Je vous ai vu vous agripper à votre veulerie grégaire, j’ai eu pitié. Et mal. « Et si on lui renversait de la bière sur son t-shirt ? ». « Vous nous cassez les couilles avec votre obsession pour l’égalité dans la grammaire ». « Sale lesbienne ». Je voudrais pas fissurer les cloisons de vos petites boites, celles dans lesquelles vous rangez les gens parce que les parois de votre prison mentale vous rassurent. Alors vous transférez le procédé sur les autres, faut pas qu’ils sortent de leur boite : ça risquerait de bousculer les limites, de faire basculer les élites, de faire trembler vos murs, votre armure. Bien, j’ai compris, pas d’ouverture des frontières. Juste des migrations pendulaires entre les deux pôles de votre monde binaire. Mais c’est toujours la même chanson, le charter, retour à l’envoyeur.

Me jeter ma féminité à la gueule comme ça, celle-là même qui m’a volé mon enfance, qui m’a pillé mon adolescence, qui m’a emmurée dans le silence. Ma féminité. Je sais même pas ce qu’elle est, je sais juste qu’elle m’a volé mon humanité. Obligée de se justifier du corps dans lequel je suis née. On me reproche de ne pas l’assumer, cette fameuse féminité. Mais je comprends pas, je croyais que c’était ses responsabilités qu’on assumait. Pourquoi ça devient ridicule, quand le même mot est suivi de « masculinité » ou de « virilité » ? Serait-je donc responsable de cette paire de chromosomes X ? Pire, je suis coupable. La culpabilité et son corollaire, la honte, rampantes, envahissantes, invalidantes. Arriver à nous coller cette culpabilité poisseuse et acide à la peau d’un corps dont on est pas responsable, ça c’est un système d’oppression efficace ! Distorsion du naturel au service du culturel, logique confuse, violence diffuse. J’ai juste envie de dire bravo.

Et là tu me sors que c’est vous qui êtes les victimes. Je réponds que oui, le système est aussi aliénant pour les hommes. Injonction de courage, de force, de réussite et de grosse bite. Tu vacilles. Je viens de saccager la cage minuscule dans laquelle vous essayez de me faire rentrer depuis que je suis arrivée. Tu vacilles. Tu te raccroches à un autre préjugé, nouveau procès d‘intentions. Verdict de suppositions. Me traites de révolutionnaire de salon. Vous me poussez dans mes retranchements, attendant la chute comme deux vautours affamés. Le poison dans mes veines devient venin dans ma bouche. Je crache, ça sort tout seul. « La révolutionnaire de salon elle a passé plusieurs mois à la rue quand elle avait quinze ans ». J’ai frappé fort. Trop fort. Mais je sais pas les utiliser gentiment les mots, chez moi, ils ont toujours servi à la même chose que les poings. Je demande pardon, tu tournes en dérision.

De la mauvaise graine qui pousse trop vite, sans tuteur et sans racines, ça devient de la mauvaise herbe. C’est moche la mauvaise herbe, mais on s’en débarrasse pas comme ça. Ca finit toujours par repousser. Salope.

Violence symbolique, violence physique. Violence phallique. Mais non, c’est moi qui suis hystérique. Le sexisme n’existe plus, je suis soumise parce que c’est dans mes gènes. On va quand même pas les forcer à refréner leur propension congénitale à la superficialité, à la docilité et à la servitude, tous ces rebuts du patriarcat ! Mais ce soir, vous venez d’incarner exactement ce que vous prétendez ne plus exister, de donner vie à votre propre déni. M’obliger à me justifier du prisme au travers duquel vous me percevez. Mais pas moyen de me la faire endosser cette féminité. Cette fois, c’est moi qui vous ai baisés.

Mauvaise graine, gangrène, tu gênes. C’est bon signe, ça veut dire que je vis. Je ne veux pas être soignée, je vis.