Une différence essentielle ?

20 juin 2005 par  Aude

Absorbée par mes idées queer, j’en oubliais que dans les cafés du Commerce et à la une des Sciences et vie on en est resté à l’idée résumée ainsi par un ami chichon lors d’un débat sur la question : « La différence entre les hommes et les femmes existe, tu veux que je te la montre ? »

Heureusement, le forum de Chiche !, autre site web sur lequel ces textes sont publiés et sur lequel cette question a suscité plus de réactions qu’aucun autre thème, ce forum, disais-je, et ses visiteurs masculins m’ont ramenée à des considérations plus basiques. Ils y réitèrent le caractère essentiel des différences entre les sexes, en avançant les mêmes arguments préhistoriques. L’anthropologie nous montre que toutes les sociétés ont sur-biologisé les différences entre hommes et femmes. Les Grecs anciens, pour ne citer qu’eux, on ainsi mis la chaleur et la sécheresse du côté du corps de l’homme, tandis que celui de la femme était froid et humide. Au XIXème siècle, des théoriciens reprennent cette distinction en attribuant au sperme le pouvoir de « réchauffer » le corps féminin, de durcir ses fibres [1]. L’idée que la société a pu nous formater de manière différente selon le genre qu’elle nous avait assigné est en somme relativement nouvelle et reste peu pensée. Jusqu’ici je me sentais démunie devant les arguments essentialistes de la majorité bien bruyante qui assène ses idées à coups de best-sellers sur les hommes qui viennent de Mars. Mais une émission scientifique de bonne tenue me permet enfin d’exprimer de manière moins sentimentale mon rejet absolu de ces idées que je juge nauséabondes, car finalement elles n’ont pas d’autre but que de refuser une réelle égalité entre hommes et femmes.

Les hommes sont meilleurs en maths
En moyenne lors de tests de mathématiques les hommes ont de meilleurs résultats que les femmes. C’est une différence qui apparaît seulement à l’adolescence mais qui est indéniable. Si on creuse, on apprend cependant à se méfier de ce résultat. En effet ces différences varient dans le temps long, et ne cessent de s’estomper au fur et à mesure que l’éducation des garçons et des filles tend à être la même. D’autre part l’anxiété des filles est plus forte lors de ces tests, ce qui explique leurs résultats plus faibles. Enfin, dans certains pays comme le Japon, ce sont les femmes qui ont les meilleurs résultats en maths. Et l’effet « moyenne » fait perdre de vue un point important : évidemment, beaucoup de femmes ont de très bons résultats.

Les hommes savent mieux lire les cartes et s’orienter dans l’espace
On explique souvent ce fait supposé par des raisons historiques, plus précisément préhistoriques. Les hommes allaient chasser, ils étaient obligés de savoir bien s’orienter, et ce caractère s’est conservé depuis lors, les individus mal adaptés étant voués à la disparition. C’est partir du principe que toutes les sociétés ont partagé les tâches comme notre société traditionnelle. Ce qui est faux. Les sociétés préhistoriques n’ont vraisemblablement pas réservé la chasse et l’exploration aux individus mâles. Et dans certaines sociétés africaines ce sont les femmes qui partent à la recherche de la nourriture, ce sont elles qui ont besoin de qualités d’orientation. La préhistoire a bon dos, un jour les hommes vont se permettre de tirer leur compagne par les cheveux parce que c’est comme ça que l’imagerie traditionnelle représente les rapports hommes-femmes dans ce passé fantasmé.

Ce qui est vrai, c’est que les spécialistes du cerveau passent leur temps à chercher à établir des généralités. Et ils n’y arrivent pas le plus souvent, car la variabilité interindividuelle est très forte. On corrèle n’importe quoi avec n’importe quoi, le taux de testostérone avec n’importe quelle caractéristique culturellement masculine. Et on nous assène un jour que les garçons aiment mieux le foot car ils ont les deux genoux plus éloignés l’un de l’autre que les filles. Biologiser nos différences, c’est adopter une vision bien réductrice, trop déterministe, de l’être humain.

Post-scriptum

A lire : Dorothée Benoît-Browaeys et Catherine Vidal, Cerveau, sexe et pouvoir, Belin, 2005 D’après l’émission « Le cerveau est-il sexué ? » dans « Science culture », France culture, 8 février 2005

Notes

[1] Françoise Héritier citant Julien Joseph Virey dans « Le sang du guerrier et le sang des femmes », Les Cahiers du GRIF 29, hiver 1984-1985