Se prostituer, c’est louer son cul pour de l’argent, mais surtout, c’est mettre de côté certaines valeurs qui sont les nôtres, se compromettre, toujours pour cet argent. En cela, tout travail rémunéré est prostitution. Notre société est une société de la prostitution, organisée, hiérarchisée et globalisée.
Le seul choix qui nous reste, est de savoir quel type de prostitution nous souhaitons exercer : salarié, artisan, auto-entrepreneur (qui est en définitive, une façon pratique pour les entreprises de prendre et de jeter de la main d’oeuvre sous-traitante, c’est encore mieux que l’intérim), commerce… ou pute !
Au départ, j’avais pour ma part choisi la prostitution temporaire : je me faisais employer pour le smic, en ayant en tête une date butoir débouchant sur un voyage ou une année d’études, et la conscience de ce que mon travail mal-payé contribuait à ce qu’un patron se fasse de belles couilles en or. Car généralement, ne nous voilons pas la face, les patrons sont des hommes. Les femmes dans ce domaine restent totalement anecdotiques. Ce qui ne veut pas dire que j’ai plus d’estime pour ces dernières.
Cette conscience aigüe de l’exploitation dont j’étais l’objet, me permettait une grande liberté (mais somme toute très exigüe), comparée à celle de mes collègues, qui eux portaient la valeur travail haut dans leur estime. Oui, ils râlaient contre le patron, mais il fallait faire son travail correctement, dût-on pour cela faire des heures supplémentaires non rémunérées ou effectuer des tâches à une cadence plus que stressante.
Je travaillais pour ma part, à mon rythme, ne venais pas avant l’heure et ne partais pas après. J’ai eu quelques problèmes, jamais bien graves, car en général, on ne vous vire pas de ce genre de boulots à la con où le turn-over est très grand, en raison de la pénibilité. C’est toujours moi qui me suis barrée. Sauf une fois où l’on m’a donné mon congé avant la fin de la période d’essai. Là je l’avais mauvaise car en général je ferme ma gueule pendant ce premier mois, mais mes gestes avaient du me trahir, ou peut-être était-ce la politique habituelle de la maison.
Bref. J’ai fini par en avoir marre. J’ai arrêté. Tout. J’ai fini par préférer être subventionnée. Bon, y en qui disent plutôt “vivre aux crochets de la société”, moi j’aime à dire que je suis subventionnée, c’est plus drôle d’être un pied de nez qu’un parasite.
Mais les subventions sociales sont somme toutes, minimales, c’est un peu le principe. C’est alors que l’idée de vendre des services sexuels m’est venue, même si l’argent au départ n’était pas la motivation la plus grande, mais j’avais un projet, qui demandait un peu d’argent, c’était la bonne excuse pour tester. Voilà.
Je me prostitue au sens réel du terme parce que c’est encore la forme de prostitution où je peux gagner le plus, au taux horaire s’entend, car dans les faits, je ne gagne même pas un smic avec cette activité, mon but n’étant pas d’en vivre mais de mettre du beurre dans les épinards. Je peux à la fois être à l’aise financièrement, sans pour autant dédier toute ma vie à un travail aliénant.
Mais comme dans tous rapport commercial, je dois abandonner certains principes. Les clients, quand ils vont voir une pute, s’attendent à ce qu’elle corresponde au stéréotype de “la femme”. Celle qui est bien coiffée, bien maquillée, en robe et en bas. Bref l’inverse de bobonne en jogging. Je n’ai rien contre bobonne en jogging. Au contraire, elle m’est sympathique. Bien plus que leur mari, qui vient me voir par facilité, sans chercher à comprendre pourquoi sa femme ne veut plus coucher avec lui, ou pourquoi les filles ne veulent pas de lui. Il s’imagine, à tort, que sa femme est devenue frigide, ou que les filles sont compliquées et ne sont intéressées que par leur argent, et autres clichés de machos anachroniques.
La femme féminine, elle me sort par les trous de nez, parce qu’elle n’est que mensonge. Elle n’est que mensonge pour plaire aux hommes, pour correspondre à l’idée d’une chose fragile et facilement maîtrisable, que l’on peut dominer et modeler à loisir. Oh les méthodes ne sont bien sûr pas toujours visibles, pour comprendre ce dont je parle il suffit d’aller voir ce film “La vie domestique”. Très bien fait. Toutes les femmes devraient y emmener leur mari. Leur mari gentil, qui se croit au-dessus de ces histoires de genre parce qu’il “aide” à la maison.
Elle me sort par les trous de nez cette fille qui se casse le cul à avoir l’air innoffensive, lisse, toujours souriante. Elle me soûle parce qu’elle me nargue, parce que sans cesse je me retrouve renvoyée à cette image, sous prétexte que j’ai un vagin et non une bite. Je ne veux pas lui ressembler, et pourtant elle existe en moi car on m’a façonnée, pour devenir cette fille.
La prostitution est donc devenue, un espace, limité dans le temps et l’espace, où je joue à être cette fille, où je peux me laisser aller à ces envies d’escarpins et de robe sexy, où ça ne porte plus à conséquence sur ma vie affective. Je me réserve cette espace pour ressembler à une fille, et ça me va. Elle déborde moins, alors, sur le reste de ma personnalité, je la tiens à distance, je réussis petit à petit à la maîtriser.
Car mes histoires d’amour m’ont toujours laissé un goût de cendre, la cendre que l’homme vous laisse dans la bouche car il ne vous écoute pas, vous fantasme sans vous voir pour ce que vous êtes, plaque sur vous l’image de leur mère ou de la pute, attend que vous deveniez conforme : femme active, belle et soignée, qui s’occupe de sa maison de son mari et de ses enfants. Beurk, écrire cela me donne envie de vomir. Les femmes occidentales se sont bien fait berner.
J’ai à la fois honte de dévoyer la femme que je suis réellement en la cachant sous les oripeaux auxquels les clients s’attendent, et à la fois amusée par ce jeu de dupes. Faire la pute, c’est un peu prendre une revanche, certes très illusoire, mais jouissive, sur le patriarcat.