Me voilà, penchée sur ma feuille, prenant le temps de me poser des questions qui ne m’étaient même jamais venues à l’esprit. Je découvre. Un ressenti plus qu’un sentiment. Une impression que je n’avais jamais mise sous des mots tant elle me semblait absurde. C’est vrai que parfois la froideur de la ville me pèse, mes activités futiles me laissent une impression de vide intérieur. Je sens que je m’éloigne des autres, trop lasse pour faire un pas vers eux. Pas le courage de parler, rien à dire que des banalités. J’ai bien une vie sociale, je côtoie des gens que j’apprécie, mais je crois qu’il me manque parfois un petit quelque chose. Est-ce que je peux le dire, que parfois j’aurais envie de te serrer contre moi, me remplir de ta présence ? Toi, quelqu’un-e, ou un-e autre ; personne en particulier en fait. Simplement trouver un contact, un échange de chaleurs, un apaisement. Un contact, un lien, un instant. Contact qui n’est pas désir ; Physique sans être charnel. Simplement me sentir vivre plus fort, l’espace d’un instant.
Mais je me demande bien ce qui peut bien m’attirer dans le fait de t’enlacer, toi qui n’est pas forcément quelqu’un que je connais bien. Est-ce pour le simple plaisir de partager une chaleur ? Ou parce qu’un geste tendre est souvent agréable ? Il y a peut-être un peu de ça, mais ce n’est sûrement pas l’essentiel. Serait-il possible que ce soit l’envie de trouver du réconfort dans une relation simple et sans risque ? Simple parce qu’elle n’engage pas forcément la parole qui trop souvent fait peur tant elle peut déraper, mentir, blesse contre notre gré. Sans risque puisqu’elle n’est pas engagement, ni domination, ni même lien acteur-consommateur. "Nous sommes l’un-e contre l’autre, parce que nous en avions envie, je me sens bien, tu sais comme moi que ceci ne durera que quelques instants, qu’après nous reprendrons nos vies, réconforté-e-s."
Je crois que c’est de ça que j’ai envie parfois. Rien de bien extraordinaire me direz-vous... pourtant, par pudeur sûrement, je n’ose ce genre de comportement qu’avec certaines personnes. Il faut dire que j’ai du mal à me défaire des schémas classiques : une personne-une relation-des gestes. C’est simple, c’est pratique, je sais ce que j’ai à faire. Comme si j’avais quelque chose à faire, un rôle à tenir... Et pourtant c’est comme ça que tout est écrit à l’avance, comme dans une tragédie où les personnages sont voués à une impitoyable destinée qui ne demande son avis à personne. De même, mes relations suivent un schéma préfabriqué : je dois faire du sexe avec un-e amoureureuse, des câlins à ma famille, avoir quelques gestes tendres avec mes ami-e-s proches et éviter tout contact avec les autres. Voilà, tout est dit. Je n’ai plus qu’à appliquer soigneusement ces règles pour une vie affective garantie sans surprises, ni complications. À y réfléchir, je crois que ce dont j’ai envie c’est de me laisser un peu aller à mes désirs spontanés. Être tendre avec quelqu’un-e sans tenir compte de la relation que je "devrais" avoir avec ellui. Je crois maintenant que c’est à la liberté de me laisser aller à mes envies que j’aspire avant tout... découvrir une affection libre et d’autant plus réconfortante que je sais l’avoir choisie et créée.
Même si les relations affectives sont une des choses qui semblent le plus personnelles mais qui sont le plus soumises à des règles sociales, elles restent des instants privilégiés bien agréables... et constructifs. Je m’explique : Les premières fois où j’ai su apprécier des moments de tendresse je les dois à des filles, des amoureuses, alors j’avais pas loin de 15 printemps. Un sentiment encore inconnu, sûrement ce que les grands appellent "désir"... mais quel que soit son nom, c’est lui qui attire mon regard vers ses lèvres, lui encore qui intime aux miennes de glisser vers son cou. Notre contact reste affectueux, il ne deviendra sexuel que bien plus tard, mais déjà des frissons me traversent. Sa main sur mes hanches me fait frémir. Je découvre son corps du bout de mes doigts, mais c’est surtout le mien que je sens se transformer lorsque ses mains l’effleurent.
Jusque-là, mon corps et moi, on n’avait jamais été très proches. Faut dire que je trouvais qu’il ne m’avait jamais vraiment rendu service. C’est bien à cause de ce corps de fille que je ne pouvais pas porter les habits qui me faisaient rêver, pas jouer au rugby sans attirer les moqueries, pas échapper aux remarques critiquant mon manque de féminité... Et puis je ne me sentais pas à l’aise dedans, en perpétuel décalage entre l’image du miroir et l’individu-e que j’aurais voulu être (ou celui que je me sentais être, je ne sais pas). Bref, passons sur cette ère un peu désagréable où je ne savais pas trop comment me définir, entre mon corps, mes aspirations, ma famille, les autres...
C’est donc entre des bras de filles que j’ai commencé à sentir et à aimer mon corps. Il m’apportait des sensations douces, on s’est réconciliés. Renouant avec mon corps féminin pas si inutile que ça puisqu’il m’ouvrait à la sensualité, j’ai arrêté de me braquer contre mes chromosomes double X. Acceptant mieux mon corps, j’apprécie de plus en plus le plaisir qu’il peut apporter. Il n’est plus uniquement une fatalité qui me cloue à un rôle dans lequel je ne me reconnais pas, il sait être agréable parfois. Je m’ouvre peu à peu à la tendresse et me découvre en même temps capable de sensualité, j’en suis bien la première étonnée. J’avais toujours voulu m’en tenir éloignée, par pudeur, je pense. Et puis aussi parce que "ça fait fille" (croyais-je), ce n’était donc pas pour moi. Et là, au fil des rencontres, du temps, je me découvre en tant qu’individu libre même dans un corps relativement déterminé. J’attache de moins en moins d’importance à mon corps, à mon genre. Tout cela m’est bien égal, au final. Que je sois fille ou garçon quelle différence ? Mon corps m’apporte du plaisir, je ne peux que l’aimer (et aimer un minimum la fille que je suis, par voie de conséquence). Voilà comment la découverte des relations affectives m’a réconciliée avec mon corps puis de fil en aiguille avec mon genre.