J’ai du mal à retrouver mon équilibre depuis que j’ai retouché à ces lettres. C’est fou comme ce malaise reprend possession de moi et s’installe librement dans mes souvenirs. Moi qui croyais avoir totalement dépasser cela... Il reste des traces. Il restera toujours des traces. Souvent, celles-ci n’empêchent pas de continuer à marcher. Mais parfois, lorsque l’on regarde un peu trop en arrière, le cou se bloque, et ce chemin tel qu’il a été parcouru nous obsède. Ai-je réellement vécue cette violence ? Comme il est facile de croire que l’on oubli. Comme il est facile de se croire toujours forte et au dessus des problèmes. Mais ceux-ci peuvent nous rattraper, parfois. Comment les solutionner ? Je crois avoir besoin d’un clash, de quelque chose qui permette d’exprimer au grand jour ce malaise si prégnant en moi. Recommencer à croire que l’on peut agir sur ces choses, reprendre confiance dans l’effort de déconstruction commun, dans le partage.
C’est ce que j’ai commencé à faire en rendant public cet échange de lettre... Mais cela à ouvert la plaie. Depuis, je ne sais où aller. Vers quels chemins me tourner. Les traces me rattrapent... Elles m’engloutissent. Je relis trois, quatre, cinq, vingt fois ce qui a été écrit. C’est là, juste là. Les traces écrites ne mentent pas : il est plus difficile de chercher à les adapter, à les limiter. Elles sont là, et ces mots m’obsèdent. « ... il n’a pas fui ses responsabilités. Il est simplement parti. Moi, je suis restée seule. Avec mon amertume. Parce que moi, j’attendais ses excuses. Je les attends toujours »...
C’est vrai, je les attends toujours. Je me souviens, après notre rupture, que je rêvais souvent de le recroiser dans un quelconque espace public, simplement pour lui crier à la face toute la violence qui restait contenue en moi. Toute la déception. Mais je ne pouvais même pas. Je ne pouvais rien faire d’autre que penser. Penser seule à cette violence. Plus de « toi » : « lui », il ne pensait plus à ça. L’espace commun, ce « nous » si puissant et réconfortant qui offre la sécurité de l’amour et du réconfort, il n’existait plus. Le « toi » s’est échappé, et le « moi » reste seule avec dans les mains une vieille peau d’un animal qui a mué et est parti plus loin. Tu tiens toujours dans les mains cette peau. Mais elle ne contient plus rien. Tu restes avec un peau morte dans les mains. Tu es seule. Avec ton amertume.
J’ai mis du temps pour retrouver mon équilibre, après cette histoire là. Bien sûr, ce n’est jamais simple d’assumer une rupture, quelle qu’elle soit, lorsqu’elle est engagée par l’autre. Mais il me semble que le malaise comportait une autre dimension. Parce que j’avais perdue confiance dans la confiance que j’accordais aux autres. J’avais perdue confiance en moi. Accepter la défaite : tu avais cru pourvoir être plus forte que la structure d’oppression. Tu t’étais cru capable de maîtriser la violence. Non. Non, ma fille. Elle t’a rattrapé. Alors même que tu pensais l’identifier et la combattre, elle te rattrapait. Elle te dépassait. Cela en vaut-il la peine ? Puis-je l’accepter ? Je n’ai pas été assez forte. Mais on n’est jamais assez forte seule contre l’oppression. C’est le principe, mais l’accepter, c’est aussi accepter une défaite personnelle. Oui, mais moi ? Toi, tu es comme les autres. Toutes ces femmes qui ne s’en sortent pas, qui se poussent, qui poussent leur corps pour perdre, ou oublier, cacher leur malaise.
Après lui, je me suis dis que je ne recommencerais plus jamais. Il a gardé malgré tout longtemps dans mon imaginaire l’étiquette du ’moins pire des hommes’. Si cela n’a pas marché avec lui, cela ne pourra marcher avec aucun autre. Il s’agit d’une défaite face au patriarcat.
J’ai mis longtemps pour comprendre que cette idée même avait participé au problème. Parce qu’en tant que bonne féministe, je me suis préparée à affronter « le patriarcat qui vit dans mon homme ». Mon homme n’était pas au fond le vrai responsable. Le vrai responsable, c’était l’autre : le patriarcat ; lui, le mien, restait finalement en dehors de cela. C’est FAUX. « Lui » est responsable. Lui m’a agressé, m’a fait mal, a fait semblant de m’écouter, de chercher à changer, et puis est parti ailleurs. « Lui », qui n’est plus là. Le problème transcende celui du « eux », même le « eux » dans le « toi ». Il n’y a pas deux « toi », mais un seul. Le même qui m’aime et qui m’agresse. Surtout, il n’y a plus qu’un seul « lui ». Penser au « eux » m’a empêché quelque part de réaliser l’ampleur du problème entre nous, et sa responsabilité, à « lui ».
« Lui » est coupable.
Toute cette violence. Je suis encore étonnée de cette violence revenue comme un boomerang depuis ces derniers jours. Cette histoire, je pensais l’avoir rangée dans un coin de mon parcours. Il me semblait avoir fait un bout de chemin depuis. De temps en temps, l’amertume nous fait un clin d’oeil. Mais j’ai retrouvée confiance. J’ai retrouvée mon équilibre, et ma confiance dans les gens autour de moi. Depuis, j’ai fait du chemin avec d’autres femmes, et avec certains hommes. Depuis, j’ai rencontré un autre garçon qui m’a permis de réaliser qu’il est peut être toujours possible de partager quelque chose de magnifique, même dans l’intimité. Cela dépend aussi du « lui ». Depuis, j’ai fait du chemin pour comprendre qu’il était possible de ne pas être l’otage de l’amour hétérosexuel. L’amour, la confiance, la déconstruction, je peux aussi - et surtout - les trouver ailleurs. Je ne suis pas, je ne suis plus dépendante d’« eux ».
Pour moi, cette relation m’a laissé une trace qui m’a permis de réfléchir : parce que cette trace avait été très lisible, visible. Parce que cette trace était écrite. Mais des traces, il y en a eu beaucoup d’autres. Des moins lisibles, des moins visibles, des non-avouées, des non-perçues, des cachées, des qui s’effacent avec le temps. Celles-ci ne me permettrons pas de réfléchir sur elles, de les exprimer. Et pourtant, elles sont toujours là, quelque part. Sous le silence.
Une trace devient-elle plus grave, plus importante lorsqu’elle devient visible ? Je ne crois pas. Elle devient simplement visible.
Quelques jours avant de remettre en forme ces lettres, je discutais avec un ami de cette relation. Il me questionnait pour essayer de comprendre en quoi je pouvais dire que celle-ci avait été agressante pour moi. Je n’ai pas réussi à lui répondre. J’étais désemparée : je gardais le souvenir de l’oppression, mais je ne me souvenais plus vraiment des faits. Je me suis sentie mal à l’aise : quelque part, il me demandait des comptes, il me demandait d’être convaincu par la situation. Je ne pouvais témoigner que de mon ressenti. Je ne pouvais pas le convaincre des faits. C’est pour cela que j’ai choisi de rendre publiques ces lettres. Parce qu’il me semble qu’elles peuvent témoigner, en s’appuyant sur une description détaillée de certains faits, de la complexité de situations d’oppression.
Genr’Radical : http://www.antipatriarcat.org/radic...
Traquée dans un caféj’aurais pu te voir venirmais saisie par l’intensitéj’me suis plutôt laissée séduireC’est par ta grande humanitéton image d’homme charismatiqueque t’as envahi mon intimitépar tes ptits jeux et tes répliquesMais savais tu que t’es dangereuxquand tu t’amuses avec nos cerveauxce que t aime c est d’voir monter le feuet mettre nos croyances en morceauxLe respect tu sais pas c est quoit’avais horreur que je dise ce motmais c’est pas juste les hommes qui y ont droitc est mon estime que t’a mis K.O.C’est facile de se camouflerderrière une job d’intervenantMais c’est pas part tes belles penséesque t’es vraiment un militantOh c’est beau de se direpacifiste, féministe ou anarchistemais ton coeur est capitalistej’en ai subi les injusticesC’est beau de se direpacifiste, féministe ou anarchistemais ton coeur est capitalistej’en ai subi les injustices.T’as réussi à me trouvermille et un défauts imaginairesj’en perdais mon identitéj’étais coupable de respirer l’airC’est fou comme les gens controlantsveulent faire vibrer nos émotionspour eux ça semble rassurantmais c’est de la pure dominationSi j’avais le courage de me défendrej’étais susceptible ou ignoranteoh y’en a marre de te comprendredis moi donc que je suis intoléranteDepuis quand qu’on agresse quelqu’uneen finissant par des je t’aimeoh oui ça fait bien des lunesque la violence écrase les mêmesPour toi c’est pas une agressionque de voler à l’autre ce qu’elle a de meilleurede remettre toute sa vie en questionde la rabaisser ou de lui faire peurOh c’est beau de se direpacifiste, féministe ou anarchistemais ton coeur est capitalistej’en ai subi les injusticesC’est beau de se direpacifiste, féministe ou anarchistemais ton coeur est capitalistej’en ai subi les injustices.J’ai compris que t’étais un maniaquepis qu’t’avais une gueule de machoOh j’ai pris mes cliques pis ma claquej’étais en train de caler sous l’eauCa commence comme un conte de féeça finit en descente aux enfersl’amour sans borne de la poupéedevenue l’indépendante guerrièreC’est facile de te camouflerderrière ton image héroïqued’un homme social qu’est bien aimémais au fond qui est pas mal plastiqueDepuis que je suis plus ton objetc’est dure pour toi de me dire salutparce que t’as perdu ton jouetet que mon équilibre est revenuSi le pardon mesure l’amouret que c’est l’autre joue qu’il faut donneroh moi j’ préfère passer mon tourrester une sorcière enragéeC’est beau de se dire humanisteMais reste que t’es un intégristemais moi je me lève et puis je résistej’demeure une rebelle féministeC’est beau de se dire humanistereste que t’es un intégristemais moi je me lève et puis je résisteJ’demeure une rebelle féministe